CLIMAT - Chassez la nature, elle revient au galop. Après avoir suspendu la campagne, l'ouragan Sandy s'est invité avec fracas dans une élection présidentielle qui avait habilement passé sous silence la question du réchauffement climatique. Quatre ans plus tôt, c'était pourtant l'un des sujets majeurs de la campagne présidentielle qui avait vu l'élection de Barack Obama. Pour l'Amérique, la re-prise de conscience est brutale.

 

"Merci, Sandy, d'avoir rappelé le réchauffement climatique à notre bon souvenir", commente Nicholas Kristof, l'un des éditorialistes vedettes du très sérieux et influent New York Times. "Pour les experts, le risque d'inondation va augmenter", affirme le Washington Post. "It's Global Warming, stupid", "c'est le réchauffement climatique, crétin", plaisante à moitié Business Week, reprenant à son compte la célèbre antienne "It's the economy, stupid" qui avait marqué la campagne de Bill Clinton en 1992. Plus prudent, le média proche des républicains Fox News joue la carte de la politisation: "Les démocrates font du forcing sur le changement climatique, mais certains scientifiques sont sceptiques".

 

 

 

Le climat est l'un des enjeux les plus polarisant de la vie politique américaine. Traditionnellement, c'est un sujet associé à la gauche, que l'on songe, par exemple, à l'ancien candidat démocrate à l'élection présidentielle Al Gore et son film, Une vérité qui dérange. À cet égard, Sandy pourrait marquer un changement de paradigme et diriger les Américains vers une forme de consensus.

 

"No denying it", "Il n'y a plus de déni possible", titraient ce vendredi matin nos confrères du Huffington Post, alors que trois jours plus tôt, une image a marqué cette fin de campagne, celle d'un président-candidat démocrate Barack Obama aux côtés du gouverneur républicain du New Jersey, Chris Christie, unis dans la catastrophe, au-delà des clivages.

 

 

Prudence

 

Cette politisation du débat explique pourquoi journalistes et éditorialistes restent prudents. "Rien ne prouve que cet ouragan, en totalité ou en partie, repose sur la dépendance aux énergies fossiles de l'humanité", écrit notre confrère Tom Zeller. "Pas un ouragan ni aucune sécheresse ne saurait être attribué directement au changement climatique", affirme Nicholas Kristof. "Accuser le réchauffement climatique d'avoir provoqué n'importe quel ouragan, c'est simpliste", admet Paul Barrett dans les colonnes de Business Week. Mais si cette prudence honore la presse américaine, c'est aussi parce que le constat est sans appel. Le réchauffement climatique a joué un rôle en rendant l'ouragan plus puissant.

 

Tom Zeller rapporte que d'après le climatologue américain Kevin Trenberth, la responsabilité de l'activité humaine dans l'intensité de l'ouragan Sandy est de l'ordre de 5 à 10%. "Il faut qu'on arrête de dire que ce n'est qu'une question de variations naturelles et que ce genre d'ouragan existerait quoiqu'il arrive, changement climatique ou pas, parce que l'impact de l'activité humaine sur l'environnement ne va faire qu'augmenter." Pour Gary Yohe, professeur d'économie environnementale à la Wesleyan University, Sandy fait figure d'avertissement. "On est face aux signes avant-coureur d'un avenir qui sera de plus en plus marqué par des extrêmes climatiques de plus en plus fort, et par des catastrophes naturelles provoquant plus de dégâts", explique le chercheur.

 

 

Un débat instrumentalisé

 

Alors pourquoi avoir mis la question du réchauffement climatique de côté pendant cette campagne? D'évidence, cela arrangeait un Mitt Romney à la base électorale franchement climato-sceptique. Du côté d'Obama, le bilan du candidat démocrate et l'échec du sommet de Copenhague en 2008, ne lui ont pas permis de faire de la lutte contre le réchauffement climatique un véritable argument de campagne. D'autant plus qu'aux États-Unis, la question du réchauffement climatique n'allait plus vraiment de soi. "Les climato-sceptiques instrumentalisent la complexité de la science pour clôturer ce débat", regrette Paul Barret. "Certains critiques affirment que parce que nous ne savons pas tout, nous ne savons rien", affirme le climatologue Michael Mann, dans l'article de Tom Zeller. "C'est faux, et ces gens ne rendent service à personne", conclut-il.

 

"S'il est important de comprendre les causes scientifiques de ce genre d'évènement [ndlr. l'ouragan Sandy], attendre de savoir avec certitude si tel ou tel ouragan ou autre évènement a un rapport direct avec le réchauffement climatique pour réagir, c'est courir droit au désastre", expliquait à Tom Zeller Jennifer Morgan, directrice du département climat et énergie au World Resources Institute. "Vous n'attendriez pas d'être sûr à 100% que votre maison va brûler avant de souscrire à une assurance".

Les compagnies d'assurance, justement. Tom Barrett estime qu'elles constituent un bon marqueur du degré de certitude quant au réchauffement climatique. Dans les colonnes de Business Week, le journaliste rappelle que le 17 octobre, la compagnie d'assurance allemande Munich Re avait publié un rapport intitulé "Severe Weather in North America' - sale temps en Amérique du nord. Que révèle ce rapport? Que les perturbations climatiques augmentent et que "nulle part ailleurs dans le monde, l'augmentation du nombre de catastrophes naturelles est aussi manifeste qu'aux États-Unis". Au total, indique Tom Barrett, entre 1980 et 2011, celles-ci ont causé près de 1,06 trillion de dollars de dégâts. Sur la même période, le nombre de catastrophes liées au climat a été multiplié par cinq. Le rapport indique aussi que cette tendance ne fera qu'augmenter.

 

 

À qui profite Sandy?

 

Alors que les Américains votent déjà pour leur nouveau président, la question du réchauffement climatique pourra-t-elle bénéficier à un candidat ou à l'autre? Témoignage du retour des démocrates sur question, le site en ligne Politico vient de publier l'appel tonitruant du représentant démocrate Mike Honda à s'attaquer au changement climatique: "Sandy nous rappelle combien les leaders du parti Républicain ont trompé l'opinion américaine sur la prévention et la réponse à apporter aux catastrophes naturelles", accuse l'élu de Californie.

 

"Si les démocrates ont abandonné cette thématique, les républicains ont été encore plus réticents", ajoute Nicholas Kristof du New York Times, "Romney ne veut pas attendre que les iraniens aient la bombe avant d'agir, alors pourquoi être aussi passif sur le réchauffement climatique?" Au lendemain de la catastrophe, le candidat républicain a été contraint de manger son chapeau en soulignant le rôle joué par la FEMA, une de ces instance gouvernementales qu'il avait tant décrié pendant la campagne. Alors à qui les américains décideront-ils de faire confiance pour lutter contre le réchauffement climatique? Michael Bloomberg, le maire indépendant de New York, un ancien républicain a d'ores et déjà fait son choix: il votera Obama.

 

 

Un ouragan provoqué par le réchauffement climatique?
 

On l'aura compris, chacun reste prudent. Néanmoins, il est probable que la force de l'ouragan Sandy s'explique par le réchauffement climatique. Comme l'explique Andrew Freedman dans le Huffington Post, il y a trois raisons à cela: l'augmentation du niveau de l'eau dans les océans, l'augmentation de la température des océans ainsi qu'un autre mécanisme dont les scientifiques pensent qu'il est lié à la fonte des glaces dans l'Arctique.

 

Eaux plus chaudes - Cet été, l'océan Atlantique a battu des records de chaleur. Or, la chaleur de l'océan, c'est précisément ce qui nourrit un ouragan et a permis à Sandy de continuer son ascension vers le nord, alors que l'ouragan aurait normalement dû mourir. Plus l'eau est chaude, plus il y a de vapeur d'eau pour nourrir l'ouragan. S'agit-il d'une variation naturelle de température, ou est-elle liée à l'activité humaine? C'est pour l'instant impossible à dire, il faudra des mois pour le savoir. Il est fort probable que ce réchauffement de l'océan soit dû à la fois à la nature, et en partie à l'homme.

 

Niveau de la mer plus élevé - D'autre part, si Sandy a provoqué autant de dégâts, c'est aussi parce que le niveau de la mer a subitement augmenté sur la côté est des États-Unis. L'intensité de cette augmentation interroge. Est-elle liée au réchauffement climatique? Dans le sud de Manhattan, la station de mesure de Battery a enregistré le plus haut niveau d'inondation jamais atteint : 4,23 mètres au-dessus du niveau habituellement atteint à marée basse. Le record était jusque là entre les mains de l'ouragan Donna qui, en 1960 avait fait augmenter le niveau de la mer à 3,2 mètres au-dessus de la moyenne. D'après Katharine Hayhoe, climatologue à l'Université du Texas, il est probable que l'activité humaine, l'enfoncement des terres, et les courants océaniques, soient responsables d'une augmentation du niveau de la mer d'environ 33 centimètres dans cette zone du sud du Manhattan

 

Changement météorologique - Alors que l'ouragan aurait dû partir vers l'est en remontant l'Atlantique, un courant est venu bloquer l'ouragan, le poussant vers l'ouest et la côte américaine. Certains scientifiques pensent que ce courant venu du Groenland a pu être provoqué par la fonte des glaces dans l'Arctique. Cette année, la fonte des glaces a été exceptionnelle. Or, lorsque la glace fond, la masse d'eau augmente. Davantage d'eau se retrouve ainsi au contact du soleil, l'évaporation augmente, l'humidité s’accroît, ce qui pourrait perturber les schémas climatiques habituels. Mais pour l'instant, cela ne reste qu'une théorie.