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CLIMAT ET OCÉAN : LE RÉSEAU DES SONDES "ARGO" RÉVÈLE DES ÉCHANGES MYSTÉRIEUX DANS LES OCÉANS

Publié par Le Nouveau Paradigme sur 27 Février 2016, 15:58pm

Catégories : #Sciences

Depuis quinze ans, des milliers de sondes Argo (à ne pas confondre avec les balises Argos) sillonnent l'océan, se laissant dériver et plongeant régulièrement jusqu'à 2.000 m avant de remonter pour transmettre leurs données vers des satellites. Ce réseau sans équivalent est devenu la principale source d'informations pour comprendre les relations complexes entre océan et climat. Guillaume Maze, de l'Ifremer, nous racontent ces sondes qui ont révolutionné l’océanographie. Rien de moins.


 Rémy Decourt, Futura-Sciences

 

Le réseau de sondes autonomes Argo célèbre ses quinze ans d'observation des océans. © Tamara Kulikova, ShutterstockLe réseau de sondes autonomes Argo célèbre ses quinze ans d'observation des océans. © Tamara Kulikova, Shutterstock

 

Argo est une « révolution dans l’histoire de l’océanographie » résume Guillaume Maze, océanographe physicien au centre Ifremer Bretagne, à Brest. C'est en effet un bilan très riche que décrit l’équipe internationale de pilotage dans la revue Nature Climate Change, sous le titre Quinze ans d’observations de l’océan avec le réseau global Argo. Depuis 2000, grâce aux déploiements successifs de plus de 10.000 sondes Argo, il est « devenu possible de mesurer avec une couverture mondiale et en temps réel la température et la salinité des 2.000 premiers mètres de l’océan ».

Parce que le réseau est homogène dans l'espace et le temps tout au long de l’année, « on arrive à suivre la quantité de chaleur des océans à travers des analyses statistiques des profils de température [voir la note 1 ci-dessous] ; [de quoi] calculer la quantité de chaleur présente dans l'océan ». De plus, Argo montre comment « la chaleur de l'océan varie à l'échelle du mois et de la saison en s'affranchissant des variations régionales ou saisonnières », une prouesse délicate avant sa mise en place.

Position des sondes Argo opérationnelles en ce début d’année 2016. On compte au moins une sonde par zone de 300 km de côté entre 60 °N et 60 °S depuis novembre 2007. © Argo Information Center/JCOMMOPS
Position des sondes Argo opérationnelles en ce début d’année 2016. On compte au moins une sonde par zone de 300 km de côté entre 60 °N et 60 °S depuis novembre 2007. © Argo Information Center/JCOMMOPS

 

Position des sondes Argo opérationnelles en ce début d’année 2016. On compte au moins une sonde par zone de 300 km de côté entre 60 °N et 60 °S depuis novembre 2007. © Argo Information Center/JCOMMOPS

Position des sondes Argo opérationnelles en ce début d’année 2016. On compte au moins une sonde par zone de 300 km de côté entre 60 °N et 60 °S depuis novembre 2007. © Argo Information Center/JCOMMOPS

Jason et les Argonautes au service de l'océanographie

 

Le réseau Argo tire son nom de la mythologie grecque. Au début des années 2000, la communauté internationale des chercheurs en océanographie physique lance, au même moment, les programmes de satellites altimétriques Jason et le réseau Argo, du nom du bateau des Argonautes menés par Jason à la recherche de la Toison d’or. Cela souligne la complémentarité entre la mesure altimétrique depuis l’espace et les données in situ acquises par les sondes Argo.

Avec le développement des systèmes de communication par satellite et la miniaturisation des capteurs, le réseau Argo est lancé en 1999, avec des sondes qui, en plus de dériver pour étudier les courants marins, « se sont mises à monter et descendre le long de la colonne d’eau, ce qui a permis de réaliser des profils océanographiques de température et de salinité ». Un objectif de « 3.000 flotteurs dans les océans hauturiers entre 60° nord et 60° sud libres de glace » est alors fixé. Il ne sera atteint qu’en novembre 2007. À l’époque, il avait été estimé que 3.000 sondes seraient suffisantes pour « réduire significativement les barres d’erreurs sur les flux de chaleur air-mer ». Il aura donc fallu une dizaine d’années pour que ce réseau atteigne son objectif de déploiement opérationnel. « On a certes 15 ans d’observation mais la série temporelle globalement homogène n'a débuté que depuis 2007. » Ce n’est donc que depuis cette date que l’on a vraiment « supprimé les biais de saisons et de région ».

Aujourd’hui, 3.900 sondes sont en opération dans l'océan et trente pays participent à ce programme. Afin d’assurer la pérennité du réseau, chaque année « 700 nouveaux flotteurs sont mis à l’eau pour remplacer ceux tombés en panne ou arrivés en fin de vie ». La France en renouvelle ainsi environ soixante à soixante-dix par an depuis la mise en place du programme il y a 15 ans.

Une sonde Argo se présente sous la forme d’un long tube de deux mètres de long et de moins de vingt centimètres de diamètre (selon les générations). Elle fonctionne de manière autonome pendant toute sa durée de vie de plus ou moins quatre à cinq ans en réalisant « continuellement un même cycle de dix jours, effectué environ 150 fois ». Ce cycle débute par une phase de neuf jours de dérive libre à environ 1.000 mètres de profondeur pendant laquelle la sonde est emportée par les courants. Le dixième jour, elle descend jusqu’à une profondeur de 2.000 mètres puis, aussitôt, remonte à la surface en mesurant « des données de température et de salinité et, pour un certain nombre de sondes, d’autres paramètres comme l'oxygène ». Équipée d’un système de géolocalisation et de communication par satellite, chaque sonde Argo envoie ses données vers un satellite qui les relaie à un des onze centres de collecte des données dans le monde, dont un se situe à Brest. Une fois ses données transmises, la sonde termine son cycle en redescendant à 1.000 mètres de profondeur et en débute un nouveau.

 

Flotteurs Argo de type Arvor vus ici au bassin d’essais du centre Ifremer Bretagne. Descendant du flotteur Provor, il présente de nombreuses avancées technologiques et a été miniaturisé. Il est passé d’un poids de 35 kg à 20 kg, d’une hauteur de 2,40 m à 2 m, et son diamètre a diminué de 20 cm à 6 cm. © Stéphane Lesbats, Ifremer
Flotteurs Argo de type Arvor vus ici au bassin d’essais du centre Ifremer Bretagne. Descendant du flotteur Provor, il présente de nombreuses avancées technologiques et a été miniaturisé. Il est passé d’un poids de 35 kg à 20 kg, d’une hauteur de 2,40 m à 2 m, et son diamètre a diminué de 20 cm à 6 cm. © Stéphane Lesbats, Ifremer

 

Les balises Argo travaillent de concert avec les satellites

Le réseau Argo est complémentaire d’autres instruments, embarqués à bord de bateaux ou de satellites. L’utilisation conjointe d'outils spatiaux et des sondes Argo « permet d’avoir des vues complémentaires de la circulation des océans et de sa dynamique ». On utilise aussi les données de surface d'Argo pour calibrer et valider les mesures acquises par les satellites qui sont seulement « capables de mesurer l’information réfléchie par le premier micron de la surface, alors qu’Argo peut mesurer les premiers mètres de la couche d’eau ».

Les mesures d’Argo sont ainsi à l’origine de plus de 2.000 publications scientifiques dont beaucoup révèlent le réchauffement des océans depuis le début du XXe siècle. Exemple de résultats significatifs : le réseau Argo est le principal fournisseur de données océaniques in situ. On lui doit notamment des mesures très précises qui ont permis de déterminer que « 93 % de l’excès de chaleur introduit dans le système terrestre par l’intensification de l’effet de serre depuis 1971 a été stocké dans les océans ». C’est aussi la principale source d’information pour « établir ce chiffre de manière fiable avec une marge d'erreur historiquement faible et d'en étudier la distribution géographique ». Avec Argo, les climatologues ont aussi déterminé que le « tiers de la hausse moyenne du niveau de la mer entre 1993 et 2010 était dû au réchauffement de l’océan ».

Enfin, au début de la mise en place des sondes Argo, la « communauté n’avait pas encore idée du rôle majeur que joue l’océan austral dans la dynamique globale ». En couvrant la totalité des océans de l’hémisphère sud et sans biais saisonniers, les sondes Argo ont corrigé ce défaut. Les océanographes se sont ainsi rendu compte qu’ils avaient « probablement sous-estimé l'ampleur du changement du contenu de chaleur dans l'océan austral ». Ainsi, par leur densité et leur qualité, les données Argo permettent de mieux comprendre l'information contenue dans les bases de données historiques.

(1) L'hypothèse est que chaque profil Argo de température est représentatif d'un certain volume d'océan à une date donnée. Donc, plus le réseau de profils est dense, plus l'erreur sur la représentativité spatiotemporelle est faible et plus le calcul de la quantité de chaleur intégrée est fiable.

 

 

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