Ce week-end dans les Yvelines se tenait le Festival Bellastock. L’objectif : faire construire par des étudiants en architecture une ville éphémère, sur l’eau. L’enjeu : jouer avec les matériaux tout en respectant l’environnement. La finalité : apprendre ensemble, dans une convivialité festive. Reporterre était présent à ce rendez-vous de l’architecture expérimentale.
Achères, reportage
Woodstock aux portes de Babylone. Ou le pied de nez des étudiants en architecture à la ville moderne, marchande et bétonnée. En pleine zone d’activité commerciale d’Achères, dans les Yvelines, 800 apprentis-architectes ont investi, en ce long week-end de l’Ascension, les quelques parcelles de terre rescapées du bitume. À l’orée d’un grand hypermarché, de chaînes de restaurant fast-food et de quelques concessionnaires automobiles, ils ont construit une autre ville, écologique et joyeuse. Bienvenue au Festival Bellastock.
Créé en 2006, cet événement annuel naît d’un besoin d’expérience concrète pour des étudiants de l’école nationale de Paris-Belleville. Parmi les cofondateurs, Antoine Aubinais : « Nous ressentions un manque de pratique. Nous voulions sortir de la seule théorie pour nous confronter à la matière. L’idée était simple, à l’origine : concevoir, construire puis habiter notre projet ». Mais très vite, le Festival enrichit la démarche. Et articule sa réflexion autour du cycle de la matière, avec un principe : le réemploi. « Quand on construit, on pense déjà à la déconstruction. Les matériaux doivent rester intacts pour être réinjectés dans le cycle d’utilisation après le Festival », explique Charlotte, la responsable communication de l’association. Un panégyrique du recyclage ? « Non, car on ne transforme pas la matière. Elle n’est pas altérée, elle est détournée ».
Une architecture expérimentale et écolo
Le Festival retravaille les normes. Celle du temps, d’abord. L’ensemble des constructions forme une ville, qui n’existe que le temps d’une journée. « Bellastock, c’est une ville que tu construis le premier jour, dans laquelle tu habites le deuxième, et que tu démontes le troisième, résume Carla, jeune diplômée d’architecture. Le tout, sans laisser de traces ». Car on réhabilite par ailleurs une autre vision de l’espace, inspirée du principe de la consigne : « On a l’usage, mais pas la propriété du lieu. A la fin, on le rend tel qu’on l’a trouvé », souligne Christine. Avec, au terme du Festival, un bilan environnemental quasi-nul.
Les organisateurs se revendiquent d’une mouvance écologiste de l’architecture : il s’agit d’investir un lieu et de s’y fondre le mieux possible, en s’adaptant à l’environnement dont on dispose. « On doit faire avec ce qu’on a, et à travers cette démarche, on retrouve un des concepts fondateurs de la permaculture : chaque élément doit avoir plusieurs fonctions, et chaque fonction doit être assurée par plusieurs éléments », poursuit Christine, qui fait partie d’un public fidèle à cet événement. On appelle cela le « upcycling » : dévier la matière de son usage habituel pour lui donner une autre utilité.
C’est à la question des ressources et des conditions de vie que Bellastock souhaite sensibiliser : « En travaillant avec peu de moyens sur des habitats modestes, on réinjecte l’idée qu’il nous faudra un jour revenir vers des constructions plus simples », dit Antoine Aubinais. Après avoir travaillé à partir de déchets industriels en 2012 puis sur des maisons végétales l’année dernière, l’eau était le thème central du Festival 2014, intitulé en conséquence « Waterworld ». ("le monde de l’eau"). Car avec la montée des eaux entraînée par le changement climatique, « de nombreux spécialistes estiment que nous devrons revenir un jour à des systèmes d’architecture flottante », explique le co-organisateur.
Apprendre en faisant la fête
Les architectes en herbe devaient donc travailler les pieds dans l’eau, mais avec des conditions de départ égalitaires. Autour de l’étang des Bauches qui borde la Z.A.C, chacune des 160 équipes composées de cinq étudiants bénéficie du même kit à son arrivée : dix palettes, dix flotteurs, dix tasseaux et dix chevrons. Tous ont alors deux jours et de la ficelle pour monter une structure capable de reposer sur l’eau. Les règles sont strictes : afin que tous ces matériaux puissent ensuite être revendus et réutilisés à d’autres fins, il est interdit de les couper ou de les déformer.
« Ne pas clouer, mais ne pas couler non plus », sourit Elika. C’est donc sur l’imagination que se départagent les équipes. À ce jeu-là, une équipe se montre particulièrement ingénieuse avec sa structure circulaire, composée de deux roues symétriques. La mise à l’eau est le clou du spectacle, samedi après-midi : tels de petits hamsters, ils font rouler sur l’eau leur construction en bois à la simple force de leur énergie humaine !
Les applaudissements des spectateurs sont nourris, tandis qu’une batucada rythme les dernières heures d’un soleil qui récompense les efforts accomplis. Adèle, étudiante en troisième année d’architecture à l’école de Marne-la-Vallée, est épuisée après ces journées de bricolage, mais elle reconnaît que l’expérience est instructive : « Il faut composer avec nos mains et quelques bouts de ficelle. Ce n’est pas toujours facile, mais il y a aussi beaucoup d’entraide. La débrouillardise fonctionne mieux dans la coopération que dans la concurrence ».
L’entraide, elle est aussi dans les cuisines où un dôme géodésique accueille les volontaires de Disco Soup. Histoire de pousser la logique de « récup’ » jusqu’au bout, l’association qui lutte contre le gaspillage alimentaire était chargée d’organiser les repas pour les participants ainsi que les nombreux visiteurs du samedi – la journée porte-ouverte. Au final, ce sont près de quatre tonnes de rebuts alimentaires de la grande distribution qui auront été cuisiné en musique, puis distribué gratuitement aux quelques deux mille personnes, parfois venues de loin – Nantes, Marseille, etc. – pour cet événement.
Avant de déguster un dernier smoothie fraise-banane-menthe face au crépuscule naissant, il faut sortir de l’eau les structures qui auront dessiné le temps d’une journée cette ville utopique. Éphémère, cette ville se veut aussi amphibie. Les constructions feront office de dortoir pour la nuit. Dernier précepte du festival à respecter, que justifie Antoine Aubinais : « Sur l’eau le jour, sur terre la nuit. La structure doit être utilisé à toutes les étapes de la journée, nous ne voulons pas de matériaux qui dorment ».
Certains festivaliers prendront la consigne à la lettre et ne dormiront guère non plus, la nuit s’ouvrant sur des concerts de musique qui dureront jusqu’à l’aube, dans une ambiance pour le moins libérée. Preuve qu’à la vocation pédagogique première de Bellastock peut s’articuler un espace nécessaire de fête et de convivialité. Pour un festival qui aspire officiellement à « créer des passerelles entre les mondes du technique, du créatif et du vivant », quelle fondation plus solide qu’une piste de danse à la belle étoile…
Source et photos : Barnabé Binctin pour Reporterre