Des cadavres de poules momifiées au milieu de pondeuses entassées au bec mutilé, des nuées de mouches et de poux, un sol jonché d'asticots: l'association de défense animale L214 dénonce à nouveau les pratiques d'un élevage industriel, situé cette fois dans l'Ain.
"Là, on diffuse les images d'abord et on discute après", avance Brigitte Gothière. La présidente de l'association L214 éthique & animaux a retenu la leçon de 2013. Déjà à l'époque, les pratiques du Gaec du Perrat avaient été dénoncées par les activistes du bien-être animal. Mais l'éleveur avait intenté une action en justice et réussi, en première instance puis en appel, à faire interdire la diffusion des images. "Peut-être aurions-nous dû nous pourvoir en cassation?", fait valoir la présidente. Cette fois, YouTube et les réseaux se chargeront de montrer l'objet du scandale, mettant les juges devant le fait accompli.
La cible est donc un élevage de poules pondeuses en batterie de l'Ain, où les gallinacés vivent l'enfer. Dans le noir, entassées dans des cages, le bec coupé pour éviter "tout cannibalisme", les pondeuses survivent parfois au milieu des cadavres de celles qui n'ont pas survécu, dans la crasse et au milieu des parasites. Des nuées de mouches et des colonies de "poux rouges" pullulent dans les deux bâtiments où 200.000 poules sont enfermées.
Selon Brigitte Gothière, les mouches infestent le voisinage qui a été impuissant à faire taire la nuisance. Sans parler des conditions de travail des employés. Du coup, le slogan des "Œufs Matines" distribués par Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché et Super U, à savoir "pour nos œufs, nous donnons le meilleur" paraît quelque peu usurpé.
>> Ci-dessous, des extraits de la vidéo "tournée en avril 2016"
L214, qui porte aujourd'hui plainte contre le Gaec du Perrat, révèle que "faire respecter des arrêtés préfectoraux est apparemment compliqué". Selon l'association, rien n'y a fait, les manquements constatés n'ont pas été corrigés.
"La justice doit faire son travail, nous demandons la fermeture immédiate du site", plaide Brigitte Gothière. Malgré tout, des doutes subsistent sur le fait que "le procureur veuille prendre en main l'affaire". "Ce n'est pas du tout évident".
Les "mauvais traitements" dont il s'agit ici sont différents de la "cruauté sur animal" sanctionnée par l'article 521-1 du Code pénal. Comme nous l'expliquait Maître Hélène Thouy, avocate au barreau de Bordeaux, "la haute juridiction impose de retenir une intention perverse" pour parler de cruauté. Ici, il s'agit "d'un système", souligne Brigitte Gothière. Ce qui écarte de fait le critère de l'intention.
Quant aux inspections vétérinaires, L214 émet des doutes tant sur leur pertinence que sur leur efficacité. "Ils (les services vétérinaires) n'ont pas tellement de moyens d'action. Ils donnent l'impression d'être complètement dépassés", déplore la militante de la cause animale. Selon elle, avant toute inspection, les employés procèdent à un nettoyage à la va-vite des cadavres jonchant l'exploitation, avant de les entasser "dans le godet d'une tractopelle" simplement relevé, de sorte que "les inspecteurs passent dessous" sans découvrir le charnier.
Le ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll avait ordonné des inspections dans l'ensemble des abattoirs de France, après un scandale dans lesPyrénées-Atlantiques.
Ces accusations sont évidemment très graves pour les œufs Matines. Même si L214 précise dans un communiqué "ne pas se leurrer sur la situation des autres élevages", des preuves doivent être apportées.
Brigitte Gothière explique avoir fait appel à un huissier pour recueillir lestémoignages de deux employés. "Vérification d'identité, examen des fiches de paie, le nécessaire a été fait", assure-t-elle, pour consolider la valeur des ces témoignages. Ensuite, il y a cet avis de la Cada (Commission d'accès aux documents administratifs) du 10 octobre 2013 qui fait état de "plusieurs non-conformités". Deux preuves que la vidéo, outre son impact médiatique, vient conforter.
L214 n'en est pas à son coup d'essai. L'association avait récemment dénoncé les conditions d'abattage d'animaux à Mauléon-Licharre ou dans les abattoirsd'Alès ou de Vigan.
L214 ne cache pas qu'outre son combat contre ce qu'elle considère comme de la cruauté envers les animaux elle vise à "soulever la question duspécisme". Il s'agit en clair de s'interroger sur le droit que l'homme aurait de concevoir les autres espèces animales et la nature comme un vaste réservoir d'objets à son service.
Mais par-delà ces considérations, L214 pointe "le droit du consommateur d'être informé". A la question de savoir si les œufs de batteries auraient une valeur nutritionnelle moindre que ceux des poules élevées en plein air, Brigitte Gothière admet volontiers "qu'aucune étude" ne va dans ce sens. Mais selon elle, les "poux rouges" présents sur les œufs Matines favorisent le développement des bactéries salmonelles.
David NAMIAS
Journaliste