Manquer de respect au Coran est passible de la peine de mort au Pakistan, république islamique de 200 millions d’habitants. Et de simples accusations de blasphème ont coûté la vie ces 25 dernières années à plus de 50 personnes, pour la plupart pauvres et issues des minorités, selon l’ONG Human Rights Watch.

Devenue orpheline, la fillette a quitté la briqueterie poussiéreuse où elle travaillait avec ses proches, maintenus à l’état d’esclaves par les dettes contractées auprès de leur employeur.

Elle rentre fièrement de l’école chaque jour, sac au dos et chaussures neuves, au domicile de son grand-père maternel chez qui elle habite avec son frère aîné et sa petite sœur, dans un quartier populaire de la banlieue de Lahore, la grande ville de l’est pakistanais.

Mais leur esprit n’est pas à la fête, malgré l’approche de Noël et leur nouvelle vie loin de l’usine grâce au soutien d’une association confessionnelle. «Les enfants pleurent souvent en réclamant leurs parents», soupire Mukhtar Atwal, leur grand-père. Et la famille ne se sent «pas en sécurité».

La façon atroce dont les parents, Shama Bibi et Shahzad Masih, ont été battus par des centaines de personnes puis brûlés le 4 novembre 2014 dans l’immense four de la briqueterie où ils travaillaient depuis 20 ans, a déclenché des réactions indignées au Pakistan.

Mais leur cas est loin d’être unique. Au moins sept autres personnes - dont quatre membres de la communauté ahmadie et un avocat - ont été assassinées la même année après avoir été accusées de commettre ou de soutenir le blasphème.

Comme souvent dans ce genre de cas, les accusations contre Shama et Shahzad se sont avérées infondées, les documents brûlés n’étant que des inscriptions utilisées par le père de Shahzad dans son activité de guérisseur, jusqu’à son décès peu avant l’incident.

- Fermeté de la justice contre les agresseurs -

La justice s’est montrée inhabituellement ferme à l’encontre des agresseurs: 104 personnes sont toujours en prison, dont le propriétaire et cinq autres cadres de l’usine, ainsi qu’un des deux mollahs ayant relayé la dénonciation et incité les villages voisins à s’en prendre au couple.

Le patron est accusé d’avoir empêché Shama et Shahzad de s’enfuir lorsqu’ils se sont sentis en danger, réclamant qu’ils paient auparavant les dettes qu’ils avaient contractées auprès de lui.

«Je suis 100% sûr qu’ils obtiendront justice», assure Riaz Anjum, l’avocat chrétien qui défend les proches des victimes.

Et ce en dépit des manœuvres dilatoires et pressions exercées par la défense: le propre frère de Shahzad a ainsi remis à la Cour une déclaration exonérant le propriétaire de l’usine... Mais les juges l’ont écartée, estimant qu’elle avait probablement été rédigée sous la pression.

La justice pakistanaise semble s’orienter vers une application plus flexible de la loi controversée sur le blasphème: la Cour suprême a récemment libéré sous caution une accusée et mis en garde contre les fausses accusations de blasphème.

Mais «la justice ne suffit pas à empêcher de tels incidents», souligne l’avocat, conscient que même en cas de victoire, les proches des victimes resteront vulnérables face aux menaces des familles des accusés, dont des notables.

«Il faut un changement de la loi sur le blasphème», souligne-t-il. Mais «je ne pense pas que le Parlement va amender la loi à court terme» car nombre d’électeurs, à 90% musulmans, «estiment que c’est une loi sacrée».

«Le blasphème reste une épée (de Damoclès) au-dessus de nos têtes», soupire Me Anjum, dans son minuscule bureau de Lahore.

- 'Peur toujours présente' -

A la briqueterie, de pauvres hères dépenaillés se souviennent de Shama et Shahzad comme «des gens biens». «C’étaient des travailleurs comme nous, nos frères, ce qui leur est arrivé est injuste et nous sommes tristes aussi», souligne Rasheed Muhammad, un collègue musulman.

Le nouveau gérant, Safdar Nazir, assure que «les gens en ont tiré les leçons» et qu'«il n’y aura plus d’incident de ce genre».

Le four vient seulement de redémarrer car «toute la main-d’œuvre s’était enfuie» après le lynchage, se plaint-il.

Mais aucune des cinq familles chrétiennes n’est revenue.

«La peur est toujours présente,» explique le frère aîné de Shahzad, Iqbal, qui était travailleur forcé dans la même briqueterie, comme deux autres des frères. «Ils peuvent s’en prendre à nous aussi», dit-il.

«Les services de sécurité nous emmènent au tribunal puis nous déposent ici, nous n’osons plus sortir du village,» explique-t-il à l’AFP à Clarckabad, un bourg majoritairement chrétien proche de la briqueterie.

Selon lui, il n’y avait pas de tensions confessionnelles particulières dans la briqueterie. Il peine à expliquer la brutalité dont Shama et Shahzad ont été les victimes, évoquant des broutilles ayant opposé son frère à d’autres travailleurs dans les champs de boue rouge où sont moulées les briques.

Lorsque des accusations de blasphème émergent, «ce n’est jamais de sa propre initiative qu’une foule commet des violences», estime Hina Jilani, militante des droits de l’Homme.

«Quelqu’un ayant un intérêt spécifique, religieux (...), personnel ou lié à la terre ou à d’autres biens, provoque la réaction violente de la foule», le plus souvent composée de ses proches, explique-t-elle.

Pour ceux qui en ont réchappé, le calvaire n’est pas fini pour autant: 17 condamnés pour blasphème sont actuellement dans le couloir de la mort - même si personne n’a été exécuté.

Parmi eux figure la chrétienne Asia Bibi, accusée d’avoir insulté le prophète Mahomet par des voisines musulmanes avec qui elle s’était disputée, et condamnée en 2010. Son cas a ému jusqu’au pape François, qui a reçu sa famille en avril.

AFP