Le rover américain est l'engin le plus complexe jamais lancé à l'assaut de la Planète rouge. Il a pour mission d'en analyser les roches afin de déterminer si elle a pu être un jour "habitable". | REUTERS/HANDOUT
"La Terre est le berceau de l'humanité, mais on ne passe pas sa vie entière dans un berceau." Cette phrase tirée de la correspondance (1911) de Constantin Tsiolkovski (1857-1935) marque les tout débuts de l'exploration spatiale moderne, bien que la planète Mars soit ancrée dans les lunettes et les rêves d'émancipation des plus grands astronomes depuis déjà plusieurs siècles. Fascinante par ses gigantesques canyons, volcans, canaux et possibles habitants, la Planète rouge regorge toujours de nombreux secrets.
Depuis la découverte par l'instrument Omega (à bord de la sonde Mars Express), dès 2004, de minéraux hydratés au sein de dépôts d'origine sédimentaire, c'est-à-dire façonnés par l'eau, on suppose que Mars a pu connaître des conditions favorables au développement de la vie. Cependant, la planète est à l'heure actuelle assez inhospitalière, avec un climat froid et sec, qui aurait été différent par le passé. Mars aurait connu, il y a environ 4 milliards d'années, un changement climatique majeur, bouleversant sa surface et son atmosphère.
MIEUX COMPRENDRE L'HISTOIRE DE MARS
Le but de ma thèse est de mieux comprendre l'histoire de la Planète rouge. Au Laboratoire de géologie de Lyon, je me suis particulièrement interrogée sur la nature des roches qui composent la surface martienne, les processus qui les ont façonnées, et les informations qu'elles ont pu enregistrer. La méthode utilisée a été d'analyser les données recueillies par les sondes en orbite autour de Mars. Certains instruments comme la caméra HiRISE vont jusqu'à distinguer des objets de 25 cm d'envergure, c'est-à-dire que l'on pourrait voir, depuis l'espace, un homme se déplacer à la surface de Mars! Puisque aucune mission n'a encore ramené d'échantillons de la surface martienne, les données acquises par les instruments des sondes restent un moyen efficace de se renseigner sur la géologie de la planète.
J'ai choisi de concentrer mon étude sur la région de Valles Marineris. C'est là la plus grande cicatrice naturelle à la surface de Mars. Formée il y a environ 3,5 milliards d'années par extension, cette gigantesque faille de 4 000 km de long expose un enregistrement géologique unique sur près d'une dizaine de kilomètres de profondeur, soit environ dix fois la taille du plus grand canyon sur Terre ! A la base des versants du canyon, j'ai observé des roches très particulières, interprétées comme des vestiges de la croûte primitive martienne. Ces roches, qui pourraient être les plus anciennes à la surface de Mars, sont pénétrées par de larges cheminées volcaniques appelées dikes (ou dykes, filons de roches magmatiques), dont j'ai été la première à analyser la composition.
J'ai également étudié, au sommet de ces versants et au sein des plateaux bordant le canyon, des affleurements d'argiles, sur une superficie de plusieurs milliers de kilomètres carrés. L'étendue de ces dépôts formés par altération aqueuse témoigne d'un climat plus humide, et probablement plus doux, il y a environ 4 milliards d'années.
DE L'EAU LIQUIDE EN ABONDANCE
L'eau a également laissé des traces à l'intérieur du canyon, sous la forme d'épais dépôts sédimentaires et de gigantesques traces d'écoulements. Ces dépôts stratifiés sont riches en sulfates, des minéraux hydratés qui se forment en conditions acides, et impliquent donc un environnement différent au moment de leur formation il y a 3,7 milliards d'années. Bien que la présence de ces minéraux suggère que le changement climatique martien était déjà amorcé à cette période, j'ai montré que la région avait été inondée fréquemment jusqu'à au moins 3 milliards d'années, soit beaucoup plus tardivement que ne le suggéraient les études précédentes.
L'aboutissement de ma thèse aura été la reconstitution de l'histoire géologique de la région de Valles Marineris. Cette étude nous permet d'en apprendre plus sur Mars mais aussi sur notre propre planète, de par l'enregistrement géologique unique présent dans Valles Marineris, depuis la formation des croûtes planétaires jusqu'à aujourd'hui. Cet enregistrement a été effacé sur Terre par la tectonique des plaques. J'ai aussi démontré que l'eau liquide a pu être abondante dans certaines régions martiennes pendant les premiers milliards d'années de l'histoire de la planète, ce qui aurait pu être propice à l'apparition de vie sur Mars.
Malgré sa richesse scientifique, Valles Marineris reste à l'heure actuelle un site difficile d'accès de par ses reliefs escarpés. C'est dans le cratère Gale que le robot martien Curiosity, qui s'est posé en août 2012, cherche les premières preuves de vie sur Mars.
Jessica Flahaut, LPG Nantes/ENS Lyon.
"Minéralogie de Valles Marineris (Mars) par télédétection hyperspectrale : histoire magmatique et sédimentaire de la région".
Thèse soutenue le 4 novembre 2011. Directeurs de recherche : Pascal Allemand et Cathy Quantin.