BRUXELLES/PARIS (Reuters) - Le biologiste français Gilles-Eric Séralini, auteur d'une étude révélant la nocivité présumée d'un maïs OGM, et la députée européenne Corinne Lepage ont mis en cause jeudi l'honnêteté de l'Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA).
Le chercheur, qui a dirigé cette étude sur 200 rats pendant leur durée de vie de deux ans, accuse les autorités européennes de s'être rendues coupables d'un "laxisme très grave" dans l'autorisation de cultures d'organismes génétiquement modifiés et d'importations d'aliments à base d'OGM.
Un point de vue partagé par l'ancienne ministre française de l'Ecologie, co-fondadrice avec lui du Comité de recherche et d'information indépendants sur le génie génétique (CRIIGEN).
Lors d'une conférence de presse au Parlement européen, à Bruxelles, ils se sont félicité d'avoir mis les "pieds dans le plat" avec cette étude qui suscite des réactions contrastées, du soutien de défenseurs de l'environnement au rejet radical de chercheurs anglo-saxons, en passant par la prudente expectative du gouvernement français.
"Je suis fière et heureuse que ce soit la société civile qui ait relevé le défi d'une carence des pouvoirs publics (...), qui ne se sont jamais donné la peine (...) de rechercher les effets à long terme des OGM sur la santé", a déclaré Corinne Lepage.
Elle a dit avoir saisi les ministres concernés des 27 pays de l'Union européenne et le commissaire européen à la Santé, John Dalli, pour demander la généralisation des études sur deux ans des OGM consommés en Europe et un moratoire sur le maïs NK603 de la firme Monsanto, objet de l'étude.
"Nous regrettons l'incompétence et le laxisme des comités, et notamment de celui de l'Efsa, qui ont autorisé (des OGM), avec de pauvres statistiques et des tests de trois mois", a pour sa part déclaré Gilles-Eric Séralini.
"CONFLITS D'INTÉRÊTS"
Un porte-parole de l'Union européenne a pourtant estimé que ce serait à l'Efsa de vérifier les conditions et les résultats des recherches du biologiste et de son équipe de l'université de Caen, qui devront lui remettre toutes leurs données.
Le porte-parole a admis que les résultats de cette étude étaient différents de ceux de l'Efsa, qui a approuvé l'entrée du NK603 sur le marché européen. Il a précisé que la Commission européenne avait demandé mercredi à cet organisme de procéder à une contre-expertise d'ici la fin de l'année.
"Nous n'accepterons pas que ces personnes-là contre-expertisent notre étude", a répliqué Gilles-Eric Séralini. "Nous pensons également mettre en cause à la fois leur compétence et leur honnêteté, au moins scientifique."
Corinne Lepage et le chercheur estiment qu'il y a "trop de conflits d'intérêts à l'Efsa" et souhaitent que, si contre-expertise il y a, elle soit menée par un autre organisme.
De façon générale, ils demandent de profonds changements dans le fonctionnement des autorités européennes de sécurité des aliments. "Il n'est pas normal de continuer à avoir un système de validation comme celui que nous avons, d'expertise publique comme celui que nous avons", a souligné Corinne Lepage.
Pour Nicolas Defarge, co-auteur de l'étude, "le problème avec les autorités sanitaires c'est qu'elles n'ont jamais demandé à ce que soient obligatoires des études comme celle qu'on a mené, ça c'est un scandale."
"Il y a peut-être des gens à remplacer à l'Efsa ou à l'Anses (agence française de sécurité sanitaire)", a-t-il dit à Reuters, en marge d'une assemblée des entreprises bio de France à Paris.
Un ancien toxicologue de l'Institut national de la recherche agronomique interrogé par LeMonde.fr met en doute les conditions de réalisation des travaux de Gilles-Eric Séralini.
Pour Gérard Pascal, aujourd'hui consultant pour des groupes agroalimentaires, l'échantillon de 200 rongeurs n'était pas assez large et il fait valoir qu'il était constitué d'une espèce "connue pour contracter des cancers de manière fréquente".
AYRAULT DEMANDE UNE VÉRIFICATION
Il met aussi en doute l'indépendance de Gilles-Eric Séralini et de son équipe dont les travaux, dit-il, ont été financés par l'association Ceres comptant parmi ses membres des groupes de la grande distribution comme Auchan et Carrefour, dont la stratégie repose en partie sur la promotion de produits sans OGM.
"Séralini a déjà publié plusieurs études dont le protocole et les résultats ont été désavoués par la communauté scientifique", insiste Gérard Pascal.
Le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a dit avoir demandé une vérification rapide, sur quelques semaines, de la validité scientifique de celle qui fait aujourd'hui parler d'elle.
"Si les résultats sont concluants, (le ministre de l'Agriculture) Stéphane Le Foll défendra au niveau européen l'interdiction de ces OGM", a-t-il déclaré.
Selon Nicolas Defarge, l'étude a coûté plus de trois millions d'euros et a été financée par deux fondations, sous la condition qu'elle fasse l'objet d'un film.
"Pour être honnête, on se doutait qu'on allait trouver des pathologies et que ça n'allait pas plaire à certaines entreprises qui fabriquent les OGM et le Roundup (herbicide également étudié lors des mêmes travaux)", a-t-il dit.
De quoi justifier, selon lui, avec également le risque que la publication de l'étude soit empêchée, le secret dont avaient été entourées jusqu'ici ces recherches.
"On ne voulait pas que le laboratoire, dont on tait encore le nom, où étaient les rats, brûle par accident, ou par accident provoqué", a-t-il déclaré à Reuters.
Il souligne que le Roundup, auquel le maïs NK603 est résistant, est en vente dans toutes les jardineries.
Emmanuel Jarry et Marion Douet,
publié par Yves Clarisse de tempsreel.nouvelobs.com
Vers un nouveau paradigme
2012 et apres