LE PLUS. L'étude choc sur la nocivité des OGM, à l'initiative du professeur Séralini et de son équipe, suscite des réactions houleuses : les détracteurs sont en effet nombreux à remettre en cause la validité méthodologique de ces recherches. Paul Deheuvels, membre de l'Académie des Sciences et statisticien renommé, nous explique pourquoi l'étude de Séralini est fiable.

Maïs et OGM (CLOSON DENIS/ISOPIX/SIPA)
L'objet de cette tribune est d'apporter mon soutien le plus ferme à G.E Séralini, professeur à l'Université de Caen. J’ai pris connaissance du fait que le professeur Séralini avait réalisé des études comparatives ayant eu, récemment, un considérable retentissement.
À ma connaissance, ces enquêtes ont été conçues et analysées en conformité aux meilleures normes professionnelles en vigueur, et devraient être appréciées comme telles.
La durée de l'expérience : un gage de fiabilité
L'un des points les plus intéressants et innovants de ces études est qu’elles ont été menées sur des durées inhabituellement longues. C’est un fait notoire, connu des expérimentateurs, que les analyses du même genre réalisées au cours de périodes plus courtes ne sont pas aptes à détecter des effets toxiques à long terme.
Le cas particulier du développement de tumeurs relève de cette catégorie, et il n'est donc pas surprenant que les études existantes, ayant été développées sur des durées plus courtes que celle des travaux de G.E. Séralini, n'aient pas révélé, jusqu’ici, de différences significatives entre les effets des traitements.
Je considère donc que le professeur Séralini a fourni des indices très solides, propres à établir l'existence de certains effets toxiques inattendus de la part de produits considérés auparavant comme sûrs.
Bien sûr, il se trouvera toujours des personnes pour contester ces résultats, du fait même qu'ils sont susceptibles d'avoir d'importantes conséquences industrielles.
Leur point de vue ne pourra être soutenu qu’à la lumière de résultats d’expérience nouveaux, puisqu’il n’y a pas de doute sur le sérieux et la fiabilité des conclusions actuelles du Professeur Séralini.
Des reproches statistiques infondés : explications concrètes
On reproche, par exemple, à G.E. Seralini d'avoir réalisé son étude avec des blocs de 10 animaux cobayes, alors que l'usage le plus courant est d'en utiliser 50.
Cette critique est infondée. En effet, dans une étude statistique, on peut chercher soit à démontrer l'innocuité d'un produit, soit à mettre en évidence sa nocivité.
Prenons l'exemple d'un produit qu'on soupçonne être un poison. Si on l'administre à 5 patients et s'il y a 5 morts, il n'y a pas besoin d'aller plus loin pour décider qu'il est toxique. Si, par contre, les 5 patients survivent, cela ne veut pas dire pour autant que le produit soit inoffensif, car les 5 patients ne sont pas nécessairement représentatifs de toute la population.
C'est pour cette raison que les études commanditées par les entreprises qui souhaitent qu'on admette l'innocuité de leurs produits imposent que les échantillons utilisés soient d'une importance minimale.
Dans le cas présent, il est naturel d'imposer un minimum de 50 cobayes (ici, des rats) pour les analyses comparatives. C'est tout à fait différent si on recherche des effets toxiques. Dans ce cas, le fait de déceler des différences significatives sur des petits groupes (10 dans le cas de l'étude de G.E.Seralini) renforce la conclusion, au lieu de l'affaiblir.
Deux types d'erreurs dans les études statistiques
Je conclus en insistant sur le principe suivant. Dans une étude statistique, si on décèle des effets toxiques, il y a toujours un risque de se tromper, mais l'erreur, s'il y a, peut facilement être dissipée par des analyses ultérieures. En revanche, si des études ne décèlent pas d'effets, on commet généralement une faute en en déduisant que ces effets n'existent pas. Car il y a deux types d'erreurs:
1. Déceler une toxicité alors que celle-ci n'existe pas;
2. Admettre l'innocuité alors que la toxicité existe.
La plupart du temps, on contrôle le risque (1) (le standard est de fixer les règles de décision de sorte que sa probabilité soit fixée à 5%). En revanche, le risque (2) dépend de la taille de l'étude, et est souvent très important (40% voire 60% ou plus).
C'est pour limiter le risque (2) qu'on cherche à imposer des études faisant intervenir beaucoup d'expériences individuelles (ou de cobayes). Par contre, lorsqu'on décèle la toxicité, il n'y a que 5% de probabilité d'erreur, quel que soit le nombre de cobayes utilisés.
Édité par Gaëlle-Marie Zimmermann Le nouvel Obs
Auteur parrainé par Guillaume Malaurie
Par Paul Deheuvels
Membre de l'Académie des Sciences
Le nouveau
Paradigme