Bruxelles, correspondant. La crise, le chômage, les banques, la fraude... et l'huile d'olive : dans son ambition d'affronter tous les périls du moment, la Commission européenne ne sait, parfois, plus où donner de la tête. Et, jeudi 23 mai, elle a paru la perdre en annonçant un revirement spectaculaire concernant le conditionnement de l'huile dans les restaurants.
En cause, les petites carafes en verre ou en métal que l'on trouve dans tous les restaurants, de Helsinki à Lisbonne. Pas hygiéniques, pas garants d'une qualité suffisante, estimaient les fonctionnaires bruxellois. La décision de les interdire avaient donc été adoptée en vertu de la procédure de la "comitologie" : des représentants des pays membres, issus des administrations nationales, dialoguent avec la Commission et adoptent des décisions dans divers domaines.
Lors d'un vote intervenu il y a une dizaine de jours, les délégués de 15 Etats avaient voté pour, 3 s'étaient abstenus (dont la Grande-Bretagne) et 9 avaient voté contre (dont l'Allemagne). A noter que tous les pays du Sud, producteurs d'une huile qui assure près de 70 % de la consommation mondiale et désireux de garantir sa qualité, s'étaient ralliés à la proposition de la Commission.
La Commission européenne avait jugé, dans un premier temps, que l'huile d'olive servie sur les tables des restaurants n'était pas suffisament "hygiénique". | AFP/LOUISA GOULIAMAKI
Face au désaccord, celle-ci devait trancher et confirmait, dans un premier temps, son intention d'obliger les restaurateurs à offrir un produit conditionné industriellement, avec un bec verseur inviolable.
MESURE "TROP ÉTRANGE POUR ÊTRE COMMENTÉE"
Point faible de l'argumentation : la bureaucratie semblait incapable de fournir les preuves des "fraudes fréquentes" qui auraient été détectées un peu partout et paraissait surtout donner raison au puissant lobby agricole, qui tentait à l'évidence à favoriser de grandes marques.
Pour en convaincre, l'association Copa-Cogeca a jugé "totalement ridicule" le revirement de Bruxelles quand celui-ci a été annoncé : la Commission a effectivement plié sous le poids des critiques quand, en Grande-Bretagne, la presse eurosceptique s'est déchaînée et a forcé le premier ministre David Cameron à intervenir. "C'est exactement le genre de choses dont l'Union européenne devrait se tenir à l'écart", expliquait-il.
Mark Rutte, son homologue néerlandais, parlait d'une mesure "trop étrange pour être commentée". Le gouvernement allemand glissait que, décidément, l'Europe avait besoin de moins de bureaucratie. L'affaire a fait sourire jusqu'à la presse américaine : "L'économie européenne ploie sous l'austérité et le chômage, mais l'UE a trouvé le temps d'approuver un changement dans la manière dont l'huile d'olive doit être servie", ironisait, vendredi, l'International Herald Tribune.
Face au désastre qui menaçait, le commissaire à l'agriculture, Dacian Ciolos, a, lui aussi, dû battre sa coulpe. "Il est clair que cette mesure ne dispose pas du soutien du consommateur", déclarait-il jeudi, annonçant une "consultation" et des "alternatives". Une manière sans doute diplomatique et élégante d'assurer que le projet était définitivement mort.
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Jean-Pierre Stroobants
journaliste au Monde.fr -