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Astéroïdes (1/2) : dangers et promesses selon Jean-Pierre Luminet

Publié par Dav sur 18 Janvier 2013, 18:02pm

Catégories : #Espace

Dans l’ouvrage qu’il a publié aux éditions Le Cherche-midi, Jean-Pierre Luminet dresse un large tableau de notre connaissance du monde des astéroïdes, de ses dangers, mais aussi de ses promesses. La Terre est-elle vraiment menacée ? Peut-on dévier des géocroiseurs comme Apophis ou coloniser le Système solaire avec eux ? Il a répondu aux questions de Futura-Sciences sur ces sujets dans une interview en deux parties. Voici la première.

À suivre, la fin de l’interview de Jean-Pierre Luminet.

 

Le PDG de Google, Larry Page, et le cinéaste James Cameron ont fait savoir récemment qu’ils participaient au lancement d’une ambitieuse compagnie privée dont le but est d'exploiter les richesses du Système solaire contenues dans les astéroïdes. Depuis quelque temps, l'Union européenne finance, elle, le programme Neoshield (acronyme anglais pour « bouclier contre les objets géocroiseurs ») à hauteur de 4 millions d'euros pour une durée de trois ans et demi. Son but : rien de moins que la protection de la Terre contre les impacts de géocroiseurs (les NEO, Near-Earth Objects), comme les astéroïdes ou les comètes. Autant dire que les astéroïdes sont dans l’air du temps et qu’on n’hésite parfois pas à faire d’eux la cause d’une disparition imminente de l’humanité.

 

Pour ceux qui veulent comprendre et évaluer les raisons de ce brusque engouement pour le monde des astéroïdes, le livre que vient de publier Jean-Pierre Luminet aux éditions Le Cherche-Midi vient à point nommé.

 

 


Le dernier ouvrage publié par Jean-Pierre Luminet fait le point sur notre connaissance des astéroïdes et sur les risques qu'ils font peser sur la vie sur Terre. © Éditions du Cherche-Midi

Le premier astéroïde découvert au XIXe siècle

 

On commence par y apprendre que ce n’est qu’au début du XIXe siècle que l’on a découvert le premier astéroïde et admis la nature extraterrestre des météorites, dont on sait aujourd’hui qu’une bonne partie provient de la ceinture de petits corps célestes orbitant entre Mars et Jupiter.

 

Les météorites sont parfois d’une grande beauté esthétique, notamment lorsque l’on considère les fameuses figures de Widmanstätten ou les pallasites. Elles font rêver parce qu’elles proviennent de l’espace et que certaines d’entre elles ont apporté une partie de l’eau des océans et des briques nécessaires à l’apparition de la vie.

 

 


Une vue du fameux Meteor Crater. Le cratère mesure entre 1.200 et 1.400 m de diamètre et sa profondeur est de 190 m. Il se serait formé à la suite de l'impact d'une météorite d'une masse de 300.000 tonnes, composée de fer et de nickel. © American Geophysical Union, 2012

 

Au-dessus de la Toungouska, mille fois la puissance d’Hiroshima

 

Mais lorsqu’il s’agit de parler des astéroïdes géocroiseurs, Jean-Pierre Luminet nous rappelle qu’ils peuvent être porteurs de mort. Il a suffi d’un petit corps céleste d’environ 50 m de diamètre pour creuser le fameux Meteor Crater en Arizona voilà environ 50.000 ans.

 

Le corps céleste (météorite ou comète) qui a explosé au-dessus de la Toungouska, en Sibérie centrale, le 30 avril 1908, ne mesurait probablement que 20 m environ et il a heureusement explosé en vol avant de toucher le sol. Mais le souffle de cette explosion, dont la puissance a été estimée à 1.000 fois celle de la bombe d’Hiroshima, a fait se coucher des arbres dans un rayon de presque 100 km.

 

 


Un tableau de famille des astéroïdes (à gauche) et des comètes (à droite) visités par des sondes. Les échelles sont respectées. © Nasa-Jaxa

 

Or, d’après la mission Neowise de la Nasa, il existerait dans le Système solaire environ 4.700 astéroïdes potentiellement dangereux, des PHA (Potentially Hazardous Asteroids), et seulement 20 à 30 % d’entre eux seraient repérés.

Ces PHA ont un diamètre supérieur à 140 m, ce qui veut dire qu’ils peuvent atteindre la surface de la Terre sans exploser en vol. Ils s’approchent parfois à moins de huit millions de kilomètres de la Terre, ce qui veut dire que par le jeu des perturbations gravitationnelles qu’ils subissent, ils pourraient avoir des chances non négligeables d’entrer en collision avec notre planète. Alors, la Terre est-elle vraiment en danger ? Si oui, peut-on la protéger ? Jean-Pierre Luminet a répondu à nos questions sur ce sujet et à quelques autres qu'il aborde dans son livre.

 

Futura-Sciences : On vous connaît comme un spécialiste de la cosmologie et de l’astrophysique relativiste. Certains seront peut-être surpris de vous voir écrire un livre qui ne traite pas des univers chiffonnés ni des crêpes stellaires, mais des météorites et des astéroïdes tueurs. D’où vous vient cet intérêt pour des domaines de recherches a priori bien différents du vôtre ?

 

Jean-Pierre Luminet : Cela remonte en fait à mon adolescence, lorsque je remplissais des cahiers entiers avec des informations sur des domaines très divers, par exemple en géographie et en zoologie. J’ai ainsi dressé une liste de ce qu’on appelait alors, dans les encyclopédies, des petites planètes, comme Cérès et Vesta, que l’on présente maintenant le plus souvent comme des membres de la ceinture d’astéroïdes. Cet intérêt pour les petits corps célestes s’est ravivé en 1999, lorsque l’on m’a informé que l’un d’entre eux portait désormais mon nom.

 

 


La météorite Esquel est une pallasite trouvée en 1951 dans la province de Chubut en Argentine. Il s’agit de la plus belle des météorites constituées d’une trame de fer et de nickel dans laquelle se détachent des grains d’olivine. © L. Carion, carionmineraux.com

 

Mais ce qui rend météorites, comètes et astéroïdes fascinants, ce n’est pas seulement la beauté de ces roches ou de ces astres. Ils se trouvent en fait à l’intersection de plusieurs disciplines comme la mécanique céleste, l’exobiologie et la cosmogonie.

 

Avec la météorite Allende, véritable pierre de Rosette de la planétologie, on remonte aux débuts de la formation du Système solaire et à l’explosion de supernovae. Avec celles de Murchison ou du lac Tagish, on plonge dans la chimie prébiotique et l’énigme de la chiralité de la vie. Enfin, avec les météorites martiennes, on espère découvrir un jour des traces de l’apparition de la vie sur Mars.

 


La découverte inédite en janvier 2000 d'un fragment du météorite du Lac Tagish (Colombie-Britannique) suggère que les conditions propices à la vie existent aux confins du système solaire, voire au-delà. On peut aussi penser qu'une météorite a amené sur Terre les matériaux ayant servi à l'apparition de la vie. Pour en savoir plus, rendez-vous sur www.dubigbangauvivant.com © Groupe ECP, YouTube

L’étude des populations de petits corps célestes de la ceinture d’astéroïdes fait, elle, apparaître de nombreux phénomènes en relation avec les perturbations gravitationnelles de Jupiter, les effets de marée, les points de Lagrange et les résonances, comme l’existence des Troyens et des lacunes de Kirkwood. Ces phénomènes aident à comprendre la formation et l'évolution du Système solaire.

 

Astéroïdes, micrométéorites et comètes ont apporté l’eau des océans de la Terre ainsi que des molécules organiques essentielles pour la chimie prébiotique à l’origine de la vie. Pourtant, ce que le grand public connaît probablement le plus à leur sujet, ce sont leur capacité de destruction et leur rôle dans des extinctions dont la plus emblématique est celle des dinosaures. A-t-on raison de redouter de nos jours le feu du ciel et la collision entre un géocroiseur et la Terre ?

Jean-Pierre Luminet : On estime qu’il doit exister dans le Système solaire quelques milliers de géocroiseurs de plus d’un kilomètre de diamètre, c'est-à-dire des astéroïdes dont les orbites peuvent les conduire à moins de 45 millions de km de la Terre et qui pourraient causer la mort de centaines de millions de personnes, voire des extinctions massives, si l’un d’eux venait à entrer en collision avec la Terre. Heureusement, parmi ceux qui sont recensés, aucun ne menace l’humanité dans les 100 prochaines années. On estime d’ailleurs que la chute d’un astéroïde de 10 km de diamètre, comme celui qui a causé l’extinction des dinosaures, n’arrive que tous les 100 millions d’années environ.

Il existe cependant d’autres géocroiseurs dont le diamètre est compris entre 50 m et 1 km. Ces géocroiseurs ont le pouvoir de dévaster une région de la taille d’une ville à celle d’un État s’ils entrent en collision avec la Terre. Combien d’entre eux le feront dans les prochaines centaines d’années ? Nul ne le sait, mais le risque est suffisamment élevé (tous les 1.000 ans en moyenne et le plus souvent dans l’océan un astéroïde de 100 mètres frappe la Terre en libérant une énergie équivalente à 100 mégatonnes) pour que l’on se préoccupe sérieusement du recensement de ces géocroiseurs et que l’on se prépare à les détruire ou à les dévier si nécessaire.

 

Il y avait encore tout récemment le cas de l’astéroïde Apophis qui restait encore un peu incertain et préoccupant à l’horizon 2036. C’est un corps de 325 m de diamètre environ, pesant probablement 470 millions de tonnes, et qui passera à proximité de la Terre sans la heurter en avril 2029. Il existait une très petite chance qu’il emprunte une trajectoire qui le conduirait à entrer en collision avec notre planète en 2036. Sa chute provoquerait alors une explosion de 510 mégatonnes, une puissance comparable à 34.000 bombes d’Hiroshima.

 

Heureusement, les dernières observations concernant Apophis faites en 2013 montrent qu'il y a désormais moins d'une chance sur un million qu'une collision se produise en 2036. Le risque est donc considéré comme nul en pratique.

Que pensez-vous des mythes de fin du monde comme celui du calendrier maya ou de la planète Nibiru, particulièrement diffusés sur Internet ces dernières années ?

 

Jean-Pierre Luminet : Malheureusement, Internet a donné à bon nombre de fêlés de l’apocalypse les moyens de répandre largement leurs idées fumeuses en les accompagnant de considérations pseudoscientifiques irrationnelles et sans aucun fondement. Nous n’avons strictement rien à craindre d’un prétendu alignement de la Terre, du Soleil et du trou noir supermassif central de la Voie lactée, pas plus que d’une supposée inversion imminente du champ magnétique de la Terre par exemple.

 

Prenons le cas de la planète Nibiru, qui foncerait actuellement à travers le Système solaire. Les astronomes s’interrogent et spéculent depuis longtemps sur l’existence d’une grande planète qui serait restée invisible parce que trop loin du Soleil. La découverte des exoplanètes permet d’imaginer qu’une telle planète se trouve sur une orbite très elliptique autour du Soleil, en conséquence de la formation même du Système solaire et des perturbations gravitationnelles exercées voilà longtemps pas les géantes gazeuses en formation. On pourrait toutefois la détecter par ses émissions dans le domaine de l’infrarouge.

 


Une vue d'artiste du satellite Iras à la chasse aux sources infrarouges de l'univers observable. Il n'a pas trouvé trace de Nibiru. © Nasa

 

Or, en 1983, le satellite Iras a effectué une campagne d’observations de la totalité de la voûte céleste pendant 10 mois. Il a catalogué 350.000 sources infrarouges dont certaines étaient inconnues. Il n’a trouvé aucune trace d’une nouvelle planète géante encore dans la zone d’influence du Soleil, mais au-delà de l’orbite de Pluton.

 

On a toutefois de bonnes raisons de penser qu’il existe des planètes nomades, et même des naines brunes qui foncent entre les étoiles. Inutile de dire que si une planète de ce genre devait causer la fin du monde dans quelques années, elle serait bien visible depuis longtemps, car elle ne pourrait échapper aux instruments des nombreux astronomes amateurs sur la planète. Aucun gouvernement ne pourrait les museler tous, et de toute façon, chacun d’entre nous pourrait déjà voir Nibiru à l’œil nu si elle était sur le point d’entrer en collision avec la Terre dans quelques semaines ou quelques mois.

 

Laurent Sacco, Futura-Sciences

 

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