Une collision d'astéroïdes survenue il y a 466 millions d'années a enrichi l'atmosphère terrestre en poussières, qui ont filtré les rayons du Soleil et provoqué un refroidissement du climat.
On a coutume de dire que la Terre a connu cinq «extinctions massives» de ses espèces animales et végétales au cours de son histoire (sans oublier la sixième, qui a lieu en ce moment même, due aux activités humaines). La plus ancienne de ces crises biologiques s’est produite il y a 445 millions d’années : c’est l’extinction dite Ordovicien-Silurien, parce qu’elle a marqué la transition entre la grande période géologique de l’Ordovicien et celle du Silurien. Près de 85% des espèces marines ont disparu. Principalement des coraux, des bivalves (comme les moules et les huîtres), des échinodermes (étoiles de mer et oursins)… Mais que s’est-il passé ?
Ce qui est certain, c’est que leur habitat douillet est, lentement mais sûrement, devenu inhospitalier. La faune marine était habituée depuis le début de l’Ordovicien (il y a 485 millions d’années) à climat brûlant, dû à une forte concentration de CO2 dans l’atmosphère et donc un gros effet de serre, qui chauffait les mers jusqu’à 45° C. Puis le climat s’est progressivement rafraîchi, jusqu’à ce que la température de l’eau avoisine les niveaux actuels de nos mers tropicales, et la vie océanique a pu fleurir confortablement. On a même donné un nom à cette période paradisiaque pour la faune marine : la Grande biodiversification ordovicienne.
Représentation de la grande biodiversification marine de l'Ordovicien au Museum national d'Histoire Naturelle de Washington, aux Etats-Unis.
Représentation de la grande biodiversification marine de l’Ordovicien au Museum national d’Histoire Naturelle de Washington, aux Etats-Unis. Photo Fritz Geller-Grimm, CC BY SA
Mais à la fin de l’Ordovicien, les températures ont continué à chuter. De nombreux glaciers se sont formés, et le niveau des océans a baissé… jusqu’à l’arrivée d’un véritable âge de glace, entre -460 et -440 millions d’années.
Ce qu’on vient de découvrir, c’est la cause de ce refroidissement. Une étude parue la semaine dernière dans Science Advances suggère que le coupable est un gros astéroïde qui s’est détruit à la même époque, il y a 466 millions d’années, dans la ceinture d’astéroïde entre Mars et Jupiter. C’est un événement connu de l’histoire de notre système solaire : une collision avec un autre caillou de l’espace, sans doute, a explosé notre «chondrite de type L» en mille morceaux, et ses fragments se sont mis à tomber sur la Terre en très grande quantité. Aujourd’hui encore, il doit en rester des milliers de miettes en orbite terrestre, car des chondrites de type L continuent de chuter régulièrement et elles constituent 35% de toutes les météorites cataloguées sur notre planète.
Une chondrite de type L (ici, la météorite NWA 869).
Une chondrite de type L (ici, la météorite NWA 869). Photo H. Raab, CC BY SA
Une étude avait déjà fait le lien en 2008 entre la désintégration de l’astéroïde et l’explosion de la biodiversité à l’Ordovicien, qui se sont produits exactement au même moment : drôle de coïncidence ! Le géologue suédois Birger Schmitz et son équipe avaient étudié des strates géologiques datant de cette période en Chine et en Baltoscandie (une région qui regroupait les actuels pays nordiques et pays baltes). Ils ont constaté qu’on trouvait, dans la même couche de roche qui formait autrefois le fond des océans, à la fois des fossiles invertébrés datant de la grande biodiversification et de la chromite d’origine extraterrestre.
Schmitz a continué à creuser le sujet – et les strates de l’Ordovicien, reconnaissables sur les parois rocheuses à leur couleur grise. Dans ces strates, il a cherché «des éléments qui apparaissent rarement dans les roches terrestres et des isotopes – des formes différentes d’atomes – qui viennent indubitablement de l’espace,explique l’université de Chicago. Par exemple, les atomes d’hélium ont normalement deux protons, deux neutrons et deux électrons, mais certains qui sont éjectés du Soleil et errent dans l’espace ont un neutron de moins. La présence de ces isotopes de l’hélium, ainsi que des métaux rares présents dans les astéroïdes, prouve que la poussière vient de l’espace.» Birger Schmitz, accompagné d’une large équipe de scientifiques internationaux (belges, chinois, américains, suisses et russes), a cherché la poussière de l’astéroïde… et il l’a trouvée.
Des strates datant de l'Ordovicien (reconnaissables à la ligne grise) ont été étudiées en Suède et en Russie, notamment. Elles gardent les traces de la poussière d'astéroïde qui a épaissi l'atmosphère terrestre.
Des strates datant de l’Ordovicien (reconnaissables à la ligne grise) ont été étudiées en Suède et en Russie, notamment. Elles gardent les traces de la poussière d’astéroïde qui a épaissi l’atmosphère terrestre. Photo Philipp Heck
L’étude propose donc de conclure que c’est bien l’explosion du gros astéroïde qui a favorisé le refroidissement de la Terre, car les grandes quantités de poussière tombées sur notre planète ont épaissi l’atmosphère et filtré les rayons du Soleil. Le climat s’est alors rafraîchi, la biodiversification a connu un boom, et la chute de température a fini par provoquer une glaciation.
«Normalement, la Terre reçoit environ 40 000 tonnes de matériel extraterrestre chaque année, rappelle Philipp Heck, professeur américain de géophysique et cosignataire de l’étude. Imaginez qu’on multiplie cette quantité par mille ou dix mille. Notre hypothèse est que les grandes quantités de poussière extraterrestre reçue durant au moins deux millions d’années ont joué un rôle important dans le changement climatique sur Terre, contribuant au refroidissement.»
Aux petits malins qui voudraient provoquer une nouvelle glaciation de ce type pour contrer le réchauffement climatique, Heck fait savoir que «les propositions de géo-ingénierie doivent être étudiées avec beaucoup de précaution, parce que si quelque chose tourne mal, la situation globale peut empirer».
Il rappelle aussi que le changement climatique de l’Ordovicien s’est produit sur «des millions d’années. Il est très différent du changement climatique brutal causé par la météorite qui a tué les dinosaures il y a 65 millions d’années, et différent du réchauffement global que l’on connaît aujourd’hui», potentiellement catastrophique car trop rapide. A côté, le refroidissement de l’Ordovicien «s’est fait en douceur».