
Alors que la vague de froid s’intensifie, le réseau électrique français est à la limite de sa capacité. En cause : trop de nucléaire, inadapté aux pointes de consommation, et trop de chauffage électrique. Les experts écologistes recommandent un autre mix énergétique.
Vous l’avez sans doute déjà senti lundi, mais c’est surtout à partir de ce mardi 17 janvier, et jusqu’à vendredi que la vague de grand froid s’installe sur la France. Météo France nous promet des « journées sans dégel », avec des températures négatives allant jusqu’à – 10 degrés, inférieures de quatre à huit degrés aux normales saisonnières.
Une vague de froid moins importante que celle de février 2012, mais qui arrive dans un contexte particulier. « On approche d’un pic de consommation d’électricité historique, alors que les moyens de production sont historiquement bas », note-t-on chez Réseau de transport d’électricité (RTE), en charge de la gestion du réseau électrique. Car cinq réacteurs nucléaires sont à l’arrêt cette semaine, contre un seul à la même période l’an dernier. Le parc nucléaire français en compte 58, fournissant les trois quart de l’électricité. Dès novembre, RTE prévoyait un hiver difficile. Reporterre vous avait raconté pourquoi la découverte d’irrégularités dans la conception de certaines pièces avait poussé l’Autorité de sûreté nucléaire à demander la mise à l’arrêt et le contrôle d’une douzaine de réacteurs.
Or, « un degré de moins à l’extérieur, c’est 2.400 mégawatts de consommation supplémentaire, soit celle de Marseille et Lyon réunis », rappelle RTE. Ce mardi, la pointe de 19 h devrait atteindre une puissance appelée de 91.300 MW, qui sera comblée par 89.000 MW de production française et une possibilité d’importation de 6.000 MW. Aucune mesure exceptionnelle ne devrait être mise en place. L’incertitude plane sur demain mercredi, où le pic pourrait atteindre 95.000 MW. « La situation est fragile, mais il n’y a pas de coupures d’électricité programmées pour l’instant », rassure-t-on chez RTE. Avant le black-out, une série de solutions ont été prévues pour diminuer la demande. Dans l’ordre, il est donc possible : d’importer plus d’énergie de chez nos voisins,
d’interrompre l’approvisionnement de 21 sites industriels très consommateurs,
et enfin de baisser la tension (une ampoule électrique éclairera moins par exemple).
Aucune de ces solutions n’a jamais eu à être mise en place encore en France, et RTE prévoit d’éviter grâce à elles les coupures d’électricité. Sinon, il promet « de maintenir l’électricité au plus grand nombre de clients possibles » avec des coupures « momentanées » et « programmées » sur le réseau.
- Consommation électrique le 16 janvier 2017 : une surdominance du nucléaire.
Pour consulter l’évolution en temps réels des consommations et moyens de production, suivre ce lien RTE
Mais l’hiver risque d’être long, même après cette semaine de grand froid. « En ce moment, pour faire face au pic, on sollicite beaucoup l’hydraulique. On va rapidement l’épuiser, alors que les réserves dans les barrages ne se reconstituent qu’au printemps, à la fonte des neiges », explique Benjamin Dessus, ingénieur et économiste spécialiste des énergies, président de l’association Global Chance. Côté importations, il est tout aussi dubitatif : « Il fait aussi froid en Allemagne ! On n’est pas sûrs de trouver de l’électricité sur le marché à chaque fois que l’on en a besoin, et en plus elle est très chère. »
Surtout, il s’inquiète des conséquences sur la sécurité nucléaire. EDF a obtenu le report de l’arrêt du réacteur n°2 de la centrale du Tricastin, qui devait être lui aussi contrôlé. Finalement, il ne s’arrêtera de fonctionner que dans deux semaines, le 3 février. « On prend des risques, proteste Benjamin Dessus. C’est comme dire que l’embrayage de la voiture est trop usé, mais qu’on continue encore de rouler. Sauf que là, il s’agit d’un réacteur nucléaire... »
- Un thermostat de radiateur.
« On paye aujourd’hui des décisions irrationnelles », estime Marc Jedliczka, porte-parole de l’association d’experts en énergie Negawatt. La France a un mix énergétique très particulier. « Le problème est structurel : on a fait le choix du nucléaire, une énergie qui est faite pour fonctionner le plus longtemps possible dans l’année, et en même temps du chauffage électrique, qui crée une pointe de consommation en hiver. C’est aberrant ! », poursuit-il. Déjà en 2009, Negawatt faisait le constat que l’essentiel de la hausse de consommation d’électricité en hiver est dû au chauffage électrique, et montrait qu’entre 1996 et 2009, le nombre de logements équipés avait presque doublé, de même que la « sensibilité au froid », c’est à dire le lien entre température extérieure et hausse de la consommation d’électricité. « Résultat, quand il fait froid, c’est le bazar », résume-t-il.
« Au contraire, cette vague de froid montre que l’on a réellement besoin du nucléaire », assure Valérie Faudon, délégué générale de la Société française d’énergie nucléaire (SFEN). « Le nucléaire est une énergie programmable, on sait à l’avance que l’on peut compter dessus. » En mélange avec les renouvelables, le nucléaire permettrait donc de « décarboner notre système énergétique », indique la responsable, qui soutient également le chauffage électrique. « Tant que la pointe de consommation est décarbonée, il n’y a pas de nuisance pour l’environnement. Alors que lundi matin, l’Allemagne et le Danemark, deux pays qui ont pourtant engagé des transitions énergétiques fortes, étaient obligés de fonctionner à fond avec des centrales au charbon », note-t-elle. Ainsi, en comparaison avec les autres pays européens, l’énergie française serait la moins émettrice de CO2, comme l’indique cette carte.
Un discours que l’on qualifie d’« hypocrite » chez les partisans de la transition énergétique. Car l’énergie de nos radiateurs électriques n’est pas si décarbonée que cela, puisque justement, « on achète très cher de l’énergie des centrales à charbon allemandes, qui tournent à plein en ce moment, le prix du charbon étant très bas », observe Marc Jedliczka. Le pic de consommation impose aussi d’allumer des centrales au charbon et au gaz en France, rapides à mettre en fonctionnement ou à éteindre, à l’inverse d’un réacteur nucléaire. Le gouvernement avait annoncé une taxation du charbon, afin de forcer l’abandon de ce combustible très polluant, puis a renoncé en octobre dernier. « François Hollande a reculé à cause des arrêts de réacteurs dans le nucléaire et des problèmes d’argent d’EDF », estime Benjamin Dessus. Cinq centrales à charbon sont donc encore en fonctionnement en France.
- Toutes les centrales à charbon tournent à plein régime. Ici, celle de Porcheville, près de Rouen
La seule solution pour ces deux experts serait donc de diminuer la consommation d’énergie. Un bon point selon eux est que, depuis 2012, la réglementation décourage l’installation de chauffage électrique dans les logements neufs. Pour l’ancien, soit l’immense majorité des bâtiments restants, la loi de transition énergétique prévoit un programme de rénovation énergétique des logements. « Mais il faudrait aller beaucoup plus vite, mettre plus de moyens et avoir des critères plus exigeants », voudrait encore Marc Jedliczka.
De son côté, le Syndicat des énergies renouvelables rappelle qu’il existe d’autres solutions de chauffage. Outre le bon vieux poêle à bois, le « solaire thermique » (l’eau chauffe grâce à un réseau de tubes noirs installés sur le toit) ou les pompes à chaleur se développent. « Le principal obstacle, c’est que le coût initial est plus élevé que pour le chauffage électrique », regrette Damien Mathon, délégué général du syndicat. Mais ces systèmes ont l’avantage de faire baisser la facture d’énergie, donc de permettre des économies à moyen terme. Et d’ainsi, par ricochet, lutter contre la précarité énergétique des ménages.
Source : Marie Astier pour Reporterre
Photos :
. chapô : EELV-Paca
. thermostat : Pixabay (CC0)
. centrale à charbon de Porcheville : Tophee, sur Flickr