Le 1er janvier 2017 est entrée en vigueur la nouvelle loi sur le divorce d'accord. C'est un changement majeur aux effets peu prévisibles.
Certains y voient un jalon majeur du processus de disparition de l'institution du mariage. Quant au gouvernement, il y a placé surtout des enjeux économiques et organisationnels: gagner du temps de magistrat et de greffier, désengorger les tribunaux si faire se peut. On peut y voir aussi, plus simplement, la poursuite du processus de privatisation du traitement des séparations conjugales, engagé depuis l'introduction du divorce par consentement mutuel en 1975.
Le point central de la réforme, on le connaît: alors qu'il était encore nécessaire, jusqu'au 31 décembre 20216, de passer devant un juge et d'obtenir une décision judiciaire pour divorcer, ce ne sera plus le cas désormais. Disparition du juge, qui n'occupait d'ailleurs que l'arrière de la scène, tant son rôle était réduit dans les divorces d'accord. Entrée en scène d'un deuxième avocat, chacune des parties devant être représentée, et accessoirement d'un notaire pour enregistrer la convention de divorce.
Mais que va-t-il se passer désormais? Que peut-on attendre de cette réforme? Un grand saut dans l'inconnu? Ou juste la continuation de l'existant, qui ne marche pas si mal, avec, au lieu de la simplification annoncée, un accroissement de la complexité des procédures, un renchérissement du divorce et une dérégulation du "marché" du divorce?
Une réforme qui ne changera rien?
Sur le fond, et d'une manière un peu provocante, on peut dire que la réforme ne changera rien pour les gens qui veulent divorcer et qui sont d'accord de le faire à leur manière. Ils pourront le faire comme ils le font aujourd'hui, et à cet égard la loi est bienvenue, attendue depuis longtemps et on peut que se réjouir qu'elle intervienne. On peut juste regretter qu'il ait fallu autant de temps et autant d'efforts pour y arriver. Il faut rappeler que tous les acteurs judiciaires, avocats en tête, et avec eux les défenseurs habituels de la famille traditionnelle, ont montré une opposition frontale à cette loi, comme ils l'avaient fait face à toutes les esquisses de réformes précédentes, qu'elles viennent de la gauche ou de la droite.
On nous peint le diable sur la muraille: l'abandon de la phase judiciaire du divorce ouvrirait la porte à des arrangements incontrôlés et laisserait la place à tous les abus, à l'imposition de la loi du plus fort, etc. C'est oublier qu'on ne parle ici que du divorce d'accord dans lequel, en l'état actuel des choses, le rôle du juge se limite à l'enregistrement de décisions qui sont prises sans lui, hors de la scène judiciaire – par les parties, avec leur conseil, etc. Les juges soutiennent bien sûr que leur rôle va plus loin: ils se disent capables de repérer les décisions qui ne respecteraient pas l'intérêt des enfants et prêts à intervenir pour soutenir la partie faible. Or cette prétention est vaine. Les audiences vont très vite, les divorçants y sont seulement invités à confirmer leurs choix. Les juges interviennent très rarement, pour ainsi dire jamais. En réalité, ils ne veulent pas le faire, sachant comme il est coûteux pour tout le monde de remettre en cause des accords difficilement établis et acceptés. Le rôle qui reste au juge – en considérant encore une fois les seuls divorces non conflictuels, au demeurant les plus nombreux – réside dans le fait de conférer un caractère solennel aux décisions prises et au changement de statut des conjoints. Pour le reste, l'idée que le juge exerce un "contrôle" protecteur relève de l'illusion – de la nostalgie aussi d'une situation dans laquelle l'Etat contrôleur serait capable de tout voir des réalités familiales. Au nom de cette idée, les juges de la famille s'imposent à eux-mêmes un travail titanesque –ces affaires représentent le plus gros du contentieux traité par le tribunal de grande instance– pour des apparitions brèves et qui ne satisfont personne. Donc, la réforme ne changera rien: les conjoints capables de se mettre d'accord sur les conditions de leur séparation continueront d'en organiser par eux-mêmes les modalités – en se faisant aider comme ils le font aujourd'hui, en rencontrant les mêmes difficultés, les mêmes souffrances parfois.
Mais alors, pourquoi avons-nous besoin d'un deuxième avocat?
Une seule chose néanmoins va changer: ceux qui voudront divorcer par requête conjointe vont devoir faire appel à un deuxième avocat. Celui-ci, on peut en être certain, n'aura pas un grand rôle – sauf à vouloir valoriser sa prestation en créant des difficultés là où il n'y en a pas. Le deuxième avocat, en l'occurrence, est supposé réduire les risques qui vont avec le divorce d'accord. On peut espérer que, s'il est un bon avocat, il ne fera guère plus –ni moins– que ce que font les avocats aujourd'hui quand les conjoints viennent les consulter dans les divorces d'accord. Le plus vraisemblable même, c'est que cet avocat sera fourni par le premier avocat consulté, comme un service inclus dans la prestation de divorce. On va voir ainsi se créer de nouvelles "fictions judiciaires" comme il y en a toujours eu dans ces affaires: avant 1975, on s'inventait des fautes alors qu'on était d'accord ; ensuite, on a fait comme si on était d'accord alors même qu'on ne l'était pas tant. Maintenant, on fera comme si on a deux avocats alors qu'un seul aurait bien suffi.
La présence d'un deuxième avocat s'est imposée pour des raisons qui n'ont rien à voir avec le souci d'une bonne justice, mais bien davantage avec le risque de remettre en cause le statu quo et la paix judiciaire. Les avocats ne voulaient pas du divorce sans juge, parce qu'ils craignaient que cela n'ouvre la porte au divorce sans avocat... Pour les rassurer, on leur a donné le divorce à deux avocats... De sorte que c'est sur eux, qui étaient depuis toujours opposés à ce type de réforme, parce qu'il leur faisait craindre de perdre leur monopole, que repose la réussite de la nouvelle loi.
Il faut dire que la logique de cette réforme va à contre-sens de tout ce qui a été fait en matière de divorce depuis trente ans. Le modèle de décision en vigueur, qui s'est instauré en quelques décennies sous le regard des juges et avec leur appui, repose sur l'appel à l'autorégulation. Ce modèle est sous-tendu par l'idée que les meilleures décisions sont celles qui viennent des intéressés eux-mêmes. Dès lors que les conjoints sont d'accord et produisent des décisions qui démontrent qu'ils sont responsables, la société leur fait confiance – ce dont témoigne le retrait du juge évoqué plus haut. Les sondages du ministère de la Justice attestent d'ailleurs du fait que ce mode de règlement des ruptures familiales donne satisfaction aux divorçants qui, dans la plupart des situations, considèrent qu'ils obtiennent des solutions qui leur conviennent. Alors pourquoi ne pas continuer dans la même voie et pourquoi ne pas faire confiance à la capacité des conjoints de prendre par eux-mêmes les décisions nécessaires à la réorganisation de leurs vies séparées? Un avocat y aurait suffi.
Pour réduire la résistance prévisible des avocats, on n'a pas simplifié le divorce, on en a augmenté le coût – y compris le coût pour la collectivité, puisque le deuxième avocat sera financé, dans bien des cas, par l'aide juridictionnelle. Quant à la simplification, qui constitue l'un des enjeux des réformes actuelles en matière de justice, il faudra repasser: pour divorcer il fallait au minimum deux intervenants, un avocat et un juge ; il en faudra trois, deux avocats et un notaire! Quant à l'autre intervenant qui avait fait une entrée en fanfare sur le marché du divorce au tournant des années 2000, le médiateur familial, il passe à la trappe dans la nouvelle réforme, alors qu'il aspirait légitimement à voir s'accroître le nombre de ses clients. Mais qui voudrait aujourd'hui consulter un médiateur en plus de deux avocats et un notaire?
Conclusion
Il fallait déjudiciariser le divorce, bien sûr, mais cette réforme n'est pas la bonne. Il y a manqué une réflexion d'ensemble sur l'organisation du traitement du divorce. On aurait pu éviter le passage par la case "deux avocats au lieu d'un", et il faudra revenir bientôt sur cette disposition. Elle n'est pas là pour protéger l'intérêt de la partie faible, mais bien pour apaiser les craintes des opposants à toute réforme de la famille et ménager le groupe des avocats.
En attendant, il va falloir faire avec ce divorce-là. Il ne faut pas faire comme si on allait se priver du juge dans tous les cas. Il existe des garde-fous et un conjoint pourra toujours sortir du divorce consensuel s'il le veut. Il ne s'agit pas de faire de l'angélisme en sous-estimant le fait que le divorce, même s'il est négocié, reste une rupture avec son lot de tensions et de conflits. Il s'agit seulement de croire à la capacité des divorçants de prendre les décisions par eux-mêmes, s'ils en manifestent ensemble la volonté.
Reste alors à faire un vœu pour cette nouvelle année 2017: que les avocats fassent preuve de toute la modération dont ils sont capables dans cette situation. Qu'ils n'abusent pas de la position que leur donne la loi. Qu'ils en profitent au contraire pour montrer, autant que les divorçants, leur responsabilité et leur souci de la pacification des affaires de la famille.