« Il faut imaginer qu’un accident de type Fukushima puisse survenir en Europe ». Ce n’est pas un militant anti-nucléaire qui parle, mais Pierre-Franck Chevet, le patron de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN). Cinq après la catastrophe de Fukushima, qui a ébranlé le Japon le 11 mars 2011, et trente après celle de Tchernobyl, dont on commémorera l’accident le 26 avril prochain, les autorités nucléaires françaises ont changé de ton pour parler de sûreté et reconnaissent que le risque zéro n’existe pas. La France et ses 58 réacteurs nucléaires répartis sur 19 sites n’est pas à l’abri d’une catastrophe : « Je ne sais pas donner la probabilité et on fait un maximum pour éviter que ça arrive, mais malgré tout, on pose le principe que ça peut arriver », reconnaît le directeur de l’ASN dans une interview àLibération.
De son côté, EDF indiquait début mars que « le niveau de sûreté des centrales est systématiquement réévalué au regard des meilleures pratiques internationales », faisant valoir qu’il est « l’exploitant le plus audité du monde » par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). « Il faut se parer à toutes les éventualités même celles qui n’ont pas été prévues », explique l’opérateur des centrales.
Sources : Greenpeace/ASN - Crédit : M.Cros et A.Chauvet/20Minutes
« Toutes nos installations nucléaires sont vulnérables »
Même si la France a soumis ses centrales à des « stress tests » après Fukushima pour en renforcer la sûreté en cas d’agression externe violente, qu’elle soit due à un séisme, une inondation ou une attaque terroriste, le débat sur le risque nucléaire reste entier. « Le principal retour d’expérience de Fukushima, c’est que toutes nos installations nucléaires sont vulnérables à des scénarios pouvant conduire à une catastrophe de cette ampleur, explique Yves Marignac, expert indépendant et directeur de WISE-Paris. Même si on faisait un classement des réacteurs français selon leur niveau de sûreté, rien ne dit qu’une catastrophe de type Fukushima n’arriverait pas sur le plus sûr. »
Impossible donc de prédire quelle centrale pourrait être un Fukushima hexagonal. Mais certains critères permettent d’évaluer la dangerosité des sites. Régulièrement montrée du doigt, la doyenne des centrales françaises, Fessenheim, (Haut-Rhin) fait partie des sites à risque : à près de 40 ans, la centrale alsacienne est située en zone sismique et en contrebas d’un canal destiné à assurer son refroidissement mais qui pourrait aussi l’engloutir en cas de débordement. « L’ASN a demandé à EDF un certain nombre d’améliorations mais quand les équipements vieillissent on ne peut pas tout renouveler, par exemple les cuves ne sont pas remplaçables, explique Bernard Laponche, consultant indépendant spécialiste du nucléaire. Il y a aussi des hypothèses qu’on ne penserait jamais à faire dans les calculs de sûreté : en 2014, un accident a eu lieu à Fessenheim à cause d’un tuyau bouché par 80cm de crasse ! »
Cependant, pour l’ASN, « l’incident a été bien géré par EDF… La situation est restée sous contrôle… La centrale n’a jamais été dans une situation qui aurait nécessité un arrêt d’urgence ». Pour l’ASN, il s’agit d’un « événement notable » qui a été classé au niveau 1 de l’échelle internationale des événements nucléaires qui va de 0 à 7 et il n’y a pas « de raison de fermer » actuellement la centrale de Fessenheim « du point de vue de la sûreté nucléaire ».
Le danger n’attend pas le nombre des années
La ministre de l’Ecologie Ségolène Royal s’est dite prête à prolonger la durée de vie des centrales, la faisant passer de 40 à 50 ans, ce qui a provoqué la colère des écologistes. Mais l’âge des centrales n’est pas le seul critère de dangerosité. « Une vieille centrale présente a priori plus de risques qu’une récente mais une centrale comme Civaux [âgée de 19 ans] avec des bétons pourris est bien plus embêtante que Fessenheim », explique Roland Desbordes, président de la Commission de recherche et d’information indépendantes sur la radioactivité (Criirad). « La qualité de la conception d’une centrale est cruciale : les 4 derniers réacteurs construits avant l’EPR, à savoir ceux de Civaux (Vienne) et Chooz (Ardennes), ont été un échec du point de vue de la sûreté, ajoute Bernard Laponche. Il faut aussi prendre en compte la réalisation et l’exploitation des équipements : dans le cas de l’EPR [de Flamanville dans la Manche], on a des défauts dans la construction, des problèmes sur la qualité du béton et un gros souci avec la sous-traitance. » « S’il y avait la moindre inquiétude sur la sécurité d’une centrale, l’ASN ne donnerait pas à EDF l’autorisation de l’exploiter », rétorque EDF.
Les critères à prendre en compte pour évaluer la dangerosité d’une centrale sont nombreux. Greenpeace s’était livré à l’exercice au lendemain de Fukushima et avait identifié les cinq centrales françaises « à fermer en priorité ». Yves Marignac avait contribué aux travaux de l’ONG : « Il faut prendre en compte le design des centrales, le type de réacteur, son histoire, l’environnement auquel il est exposé, les risques de séismes et d’inondations, l’utilisation ou non de combustible Mox*, l’impact potentiel de l’accident selon la densité de population et les activités économiques autour de la centrale… » S’ajoute à cette équation compliquée une inconnue totalement impossible à maîtriser : lerisque d’attaque terroriste contre une centrale nucléaire. « Ce sont les piscines de refroidissement ou les systèmes d’évacuation qui pourraient être facilement visés par des actes de malveillance car ils sont moins protégés que les dômes des réacteurs », estime Roland Desbordes.
*Le Mox est un combustible contenant du plutonium. Il est plus réactif et plus chaud qu’un combustible classique donc plus difficile à refroidir. C’est aussi un des éléments les plus radiotoxiques et en cas de relâchement des matières du cœur du réacteur, la présence de plutonium augmente très significativement leur toxicité. Plus de 20 centrales françaises utilisent du Mox.