Voici l’histoire d’une mobilisation qui a réussi en quelques mois à faire passer une maladie de l’ombre totale à la (relative) lumière. Le ministère a saisi la Haute autorité de santé.
«Nous avons avancé, mais il reste encore un énorme chemin à faire. Des milliers de femmes doivent maintenant sortir de l’ombre», martèle avec conviction la docteure Chrysoula Zacharopoulou, gynécologue chirurgienne et spécialiste de l'endométriose à l'hôpital Trousseau, à Paris.
Dans un café place Colette, à Paris, celle qui s’est battue auprès du ministère pour faire connaître la maladie, est émue: le sujet lui tient à cœur. Après plusieurs années de concertations avec les différents acteurs du milieu, de discussions avec les élus, de travail de persuasion auprès de diverses personnalités connues pour en faire des porte-paroles de la cause, voilà que son action et celle des associations commence à porter ses fruits auprès du public. Mais pourquoi et par quel chemin cette mobilisation a-t-elle réussi à se faire entendre?
L’endométriose, une maladie qui provoque d’intenses douleurs pendant les règles chez les femmes, voire en dehors de la période des règles, est aussi vielle que l’histoire de la médecine moderne, voire que l’histoire de l’humanité. Cette maladie qui handicape certaines femmes jusqu’à les clouer au lit pendant une semaine se caractérise par «la présence de muqueuse utérine en dehors de l’utérus», comme l’a décrite le premier un médecin, Karel Rokitansky, en 1860. C’était il y a plus de cent cinquante ans, les antibiotiques n’existaient pas encore et l'anesthésie commençait tout juste à se développer.
En 1927, un autre praticien, le docteur John Albertson Sampson, apporte la première théorie sur le sujet, qui fait encore référence pour la plupart des médecins qui n'ont pas été formés à la maladie: ce sont les reflux de sang qui seraient à son origine, lorsque celui-ci ne parvient pas à s’écouler par le vagin et pénètre dans les trompes ou la cavité péritonéale. En réalité, il existe bien d'autres intéreprétations de cette maladie méconnue.
90% des femmes ne sont atteintes que de formes minimes à modérées. Mais les 10% restantes connaissent de multiples problèmes. C'est tout d'abord un long parcours du combattant avant d'être diagnostiqué. Typhaine raconte, dans un papier publié sur le site du Monde en mars 2015, avoir fait plusieurs échographies à l'âge de 23 ans, qui n'ont rien montré. Elle a ensuite pris pendant six ans des antalgiques, mais les douleurs ont empiré, jusqu'à l'empêcher de dormir et de manger. Ce n'est qu'à l'âge de 29 ans, lorsque sa gynécologue lui prescrit une IRM, que la maladie est repérée.
Claire, 34 ans, a d'abord vu un gynécologue qui l'a mise sous contraceptif; puis un généraliste qui lui a dit qu'il devait s'agir d'une gastro; puis, à la suite de fortes douleurs dans l'épaule, une radio a montré un «pneumothorax spontané». «Un mois plus tard, j’ai dû retourner aux urgences car j’avais du mal à respirer et des douleurs insoutenables. Ma mère avait vu une émission sur l’endométriose. J’ai soumis cette hypothèse aux médecins. Ils m’ont diagnostiqué une endométriose avec atteinte pulmonaire et, au niveau du diaphragme, une forme rare de la maladie». «Actuellement, le délai moyen entre l'apparition des premiers symptômes et le diagnostic chirurgical est de sept ans», explique Marina Kvaskoff, chercheuse à l'Inserm.
Actuellement, le délai moyen entre l'apparition des premiers symptômes et le diagnostic chirurgical est de sept ans
Marina Kvaskoff, chercheuse à l'Inserm
Une fois le diagnostic posé, les problèmes sont loin d'être résolus. Il faut souvent de nombreuses opérations avant que la maladie soit éradiquée, au risque de devenir stérile. C'est le cas de Typhaine, opérée deux fois par cœlioscopie, puis hospitalisée dix jours à la suite d'une infection à l'ovaire: «Le chirurgien a clipsé les trompes, empêchant toute grossesse naturelle future. Au réveil, cette annonce a été un choc.» Les femmes qui ont la maladie peuvent connaître de nombreux arrêts de travail, courant parfois sur plusieurs années. Comme Claire, opérée elle aussi plusieurs fois, et qui a eu recours à trois fécondations in vitro pour avoir des enfants.
Mais, bien qu’elle touche selon les estimations entre 6 et 10% des femmes(1), la maladie a été totalement ignorée du grand public pendant des années. Elle l'est aujourd'hui encore amplement, alors même qu'un diagnostic précoce apparaît comme central dans sa prise en charge. Ce n’est semble-t-il qu’en 2014 que l’endométriose parvient à la connaissance d’un public moins confidentiel, année où de nombreux médias vont soulever le couvercle de ce fléau.
Dans les archives du quotidien Le Monde, il faut remonter à 1985 pour trouver un quelconque papier sur le sujet avant cette date. Son titre –«Stérilité: les mystères de l'endométriose»– souligne le flou qui règne sur cette maladie, encore mal connue, et autour de laquelle on organise alors la première enquête épidémiologique. En soixante ans d’archives du principal quotidien français, on trouve bien peu de choses sur le sujet, si ce n’est des mentions très brèves ça et là. Telles que dans cet article datant de 1972, intitulé «Tu soufriras chaque mois».
Par Aude Lorriaux
Journaliste chez Slate