Les vidéos amateurs diffusées par la télévision chinoise montrent l’ampleur du désastre qui a frappé, dimanche 20 décembre vers midi, un parc industriel de Shenzhen, le berceau de l’ouverture économique chinoise, dans le sud du pays : une coulée de boue s’avance vers un immeuble de trois étages et le fait s’effondrer comme s’il avait été dynamité.
Au loin, un geyser de boue haut de plusieurs dizaines de mètres s’élève vers le ciel – possiblement dû à la rupture d’un des principaux gazoducs qui alimentent Hongkong en gaz naturel.
Cette catastrophe n’a rien de naturel : la boue provient d’une ancienne carrière qui accueillait depuis des années les déchets des excavations des sites de construction de la région, jusqu’à former une colline artificielle de près de 100 mètres de hauteur. Elle a fini par basculer, peut-être sous l’impact de fortes pluies.
Près de 900 personnes ont pu être évacuées à l’approche de la coulée, mais lundi, au lendemain du glissement de terrain, 85 autres étaient toujours portées disparues. Trente-trois bâtiments ont été détruits sur près de 100 000 mètres carrés. Les autorités locales sont sur le pied de guerre pour secourir des victimes : 1 500 sauveteurs ont bataillé dans la nuit de dimanche à lundi en quête de signes de vie, tandis que le président chinois Xi Jinping a appelé à tout faire pour retrouver des survivants.
Dans un témoignage cité par le quotidien cantonais Nanfang, Cheng Yiquan, un travailleur migrant originaire de la province du Hunan, raconte avoir été tiré du lit par sa femme, dans son dortoir pour ouvriers de la construction, et avoir pris ses jambes à son cou :
« On a couru pendant plusieurs minutes, c’était comme dans un film catastrophe. »
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La catastrophe a provoqué une explosion de gaz à Shenzhen, ville du sud de la Chine, et l’ensevelissement d’une trentaine de bâtiments. AP
Anarchie urbaine
He Weiming, un éboueur de 36 ans originaire du Henan, a expliqué à l’agence Xinhua ne plus avoir de nouvelles de ses parents, son fils, sa femme et plusieurs autres membres de la famille, après avoir retrouvé sa maison engloutie par le torrent de boue à son retour du travail avec son frère :
« Quand on est revenus, on ne voyait même pas le toit de la maison qui fait pourtant quatre mètres de haut. »
Il a tenté d’appeler les siens des dizaines de fois au téléphone, sans succès, et ne sait pas s’ils ont pu s’échapper à temps. Une partie des habitations touchées regroupait des familles de récupérateurs de déchets, originaires de provinces de l’intérieur de la Chine.
Le parc de Hengtaiyu, où a eu lieu l’incident, dans le nouveau district de Guangming, à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Shenzhen, appartient au patchwork de zones industrielles qui constitue la périphérie de la mégapole : usines et ateliers de sous-traitance y côtoient des champs et des villages convertis en dortoirs pour migrants.
Y règne une anarchie urbaine souvent bien loin de l’image de hub high-tech que projette la célèbre « zone économique spéciale », où sont installés les grands noms de l’électronique chinoise et mondiale et où vivent près de 20 millions de personnes. Shenzhen, et la ville voisine de Dongguan, affichent les symptômes d’un développement trop rapide, oublieux des lourdes séquelles écologiques et sanitaires qu’il provoque.
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1500 secouristes ont tenté de retrouver des signes de vie dans les décombres. CHINA STRINGER NETWORK / REUTERS
Des signaux d’alerte avaient pourtant été donnés. Selon le site d’information chinois Sohu, une étude d’impact environnemental a prévenu en janvier que la décharge de Hengtaiyu était un site à risque en raison d’une érosion des sols de la carrière susceptible de conduire à des effondrements. Déjà, plusieurs médias chinois se sont mis en quête de responsabilités, avant que la censure ne les en empêche. Le magazine d’information Caixin avance ainsi que le site a été créé par une société locale de gestion d’immeubles (l’équivalent d’un syndic), la Shenzhen Lü Wei Housing Management Company, qui a reçu en février 2015 le feu vert du gouvernement du district de Bao’an pour l’utiliser comme décharge temporaire pour des déchets de construction.
Cette accumulation d’erreurs humaines et de failles en matière d’application des normes va de nouveau braquer les projecteurs sur le modèle de développement chinois. Elles rappellent bien sûr la catastrophe de Tianjin d’août dernier : un entrepôt de produits toxiques avait explosé, provoquant des dégâts colossaux. Les normes en matière de stockage et de comptabilité des produits avaient été grossièrement violées.
Dans son éditorial du 20 décembre, le quotidien Global Times pointe les défis que présente l’adoption de mesures de sûreté plus strictes dans le secteur manufacturier à un moment où l’économie ralentit. Celle-ci pourrait toutefois être un bienfait déguisé, car elle « répond à la stratégie de transformer la Chine “usine du monde” en une nation industrielle avancée d’ici à 2025 ».
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