Et si un petit carré de silicone à peine plus grand qu’un cachou pouvait changer la face du monde ? Inventé par un chercheur australien, Mark Kendall, le nanopatch pourrait bientôt reléguer aux oubliettes de l’histoire les seringues utilisées depuis plus d’un siècle pour administrer les vaccins. Hérissé de 20 000 nano-aiguilles enrobées d’antigènes (le principe actif du vaccin), il déclenche une réponse du système immunitaire en sollicitant les cellules de la peau qui sont très sensibles.
Indolore, le nanopatch a aussi le mérite d’être bon marché. Il peut être fabriqué pour moins de 50 centimes de dollars à partir de silicone ou de bicarbonate, et il requiert une dose d’antigène minime (moins de 1 % de la dose utilisée dans les vaccins classiques). Autre atout : il est stable à température ambiante. « S’affranchir de la coûteuse et fragile chaîne du froid changerait tout », s’enthousiasme Seth Berkley, de Gavi Alliance, qui finance des campagnes de vaccinations dans le monde.
Les essais cliniques commencent tout juste, mais cette technologie a déjà conquis l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ainsi que le laboratoire américain Merck. M. Kendall est aussi cette semaine l’un des invités d’honneur du Forum de Davos qui a décerné à sa start-up Vaxxas le label très convoité de « Technology Pioneers ».
« J’ai toujours voulu faire quelque chose de grand », plaisante le scientifique de 42 ans. « Je rêvais d’être pilote dans l’armée de l’air australienne, mais comme je porte des lentilles de contact, j’ai été recalé », raconte-t-il. Devenu ingénieur, il débute sa brillante carrière à Oxford. C’est là qu’il découvre l’univers des maladies infectieuses. Avec d’autres chercheurs, il développe une première technologie consistant à projeter des microparticules de vaccin à la surface de la peau à une vitesse de 2 000 km/heure. Trop compliqué, trop cher, estime-t-il.
Une aubaine pour certains pays
De retour en Australie, à l’université du Queensland, il développe une idée née d’une rêverie. « Je m’ennuyais à une conférence et j’ai profité de cette parenthèse en dehors de mon laboratoire pour imaginer ce patch », se souvient le chercheur. « De retour à ma paillasse, j’ai transformé cette idée en réalité. »
Il fonde Vaxxas en 2011 et en 2012, il remporte le Rolex Award. Ce prix créé par l’horloger suisse en 1976 lui permet de financer un voyage de terrain, en Papouasie-Nouvelle-Guinée. L’objectif du chercheur est encore modeste : il s’agit de voir comment se comporte le patch dans des conditions réelles d’utilisation, par une température de 40 degrés et avec une humidité proche de 100 %. « Il est resté parfaitement stable, mais nous nous sommes aperçus que notre packaging était trop difficile à ouvrir avec des doigts humides de transpiration », s’amuse le chercheur.
Surtout, il mesure l’attente créée par son projet dans des régions reculées et démunies, où une bonne partie des fonds alloués à la vaccination est engloutie par la logistique. « La Papouasie-Nouvelle-Guinée, dont la surface correspond à peu près aux deux tiers de la France, ne compte que 400 réfrigérateurs adaptés », insiste Mark Kendall. « Et faute d’infrastructures, le moindre trajet prend des airs d’expédition, ce qui explique que de nombreux patients renoncent à aller se faire vacciner. »
Alors que l’OMS a lancé une offensive pour éradiquer la polio, son patch pourrait bien être l’arme qui manquait encore à l’arsenal des médecins. « Dans des pays comme le Pakistan ou le Nigeria, imaginez la difficulté d’acheminer et d’administrer des vaccins classiques ! Le patch permet d’aplanir bon nombre des obstacles auxquels l’OMS se heurte », se réjouit Mark Kendall. Les premiers tests sur l’homme seront réalisés sur quelques volontaires à Brisbane en Australie cette année et, dès 2016, un essai clinique démarrera à Cuba. « En cas de succès, nous pourrions le lancer en 2020 », estime M. Kendall. D’ici là, il lui faudra être en mesure de produire 100 millions de patchs. « Un vrai défi », reconnaît-t-il. « Nous avons ouvert une filiale aux Etats-Unis pour travailler avec des fabricants. »
Le potentiel du patch de Vaxxas n’a pas échappé aux géants de la pharmacie, dont l’américain Merck. Le laboratoire, numéro deux mondial du vaccin juste derrière Sanofi, a signé en 2012 un accord secret avec la start-up pour tester son patch avec trois vaccins « maison ». « D’autres partenariats sont en discussion », indique avec un grand sourire Mark Kendall qui a déjà réuni plus de 75 millions de dollars (66 millions d’euros) pour financer ses travaux et s’apprête à lever d’autres fonds.
Chloé Hecketsweiler
Journaliste au Monde Suivre Aller sur la page de ce journaliste