De la surface des océans aux entrailles rocheuses de la Terre, la gravité modèle tout. Cette force de la nature qui nous maintient tous au sol est un point de référence essentiel pour la vie. On ressent la gravité comme s'il s'agissait d'une force d'attraction constante. Mais si à un endroit donné, on ajoute une masse ou qu'on la retire, le signal gravitationnel subit une variation : faible, mais mesurable.
Or c'est un casse-tête pour la science. "Depuis 20 ans," souligne Volker Liebig, directeur des Programmes d'observation de la Terre de l'Agence spatiale européenne, "les scientifiques rêvaient d'une mission qui leur donnerait une carte du champ de gravité en haute résolution." C'est chose faite avec le satellite GOCE de l'ESA qui mesure ses variations depuis quelques années. Ces données regroupées au centre ESRIN près de Rome intéressent toutes les filières des sciences de la Terre.
Grâce à ce panorama obtenu à une orbite particulièrement basse (de 237 kilomètres d'altitude actuellement), les géologues, par exemple, disposent d'une vue unique sur l'intérieur de notre planète. Ils peuvent ainsi relever les indices de la structure et de l'histoire de la Terre, comme détecter la présence éventuelle de roches intéressantes telles que du minerai de fer ou savoir jusqu'à quelle profondeur, les racines des chaînes montagneuses s'enfoncent dans la croûte.
L'un des sites intéressants pour les géologues italiens se situe dans le nord du pays, près de Trieste. Une immense grotte souterraine permet de mettre en évidence une gravité plus faible car du fait de la présence d'une cavité sous nos pieds, l'attraction terrestre est moindre. Mais le champ gravitationnel local est aussi influencé par les marées terrestres, comme l'explique Carla Breitenburg, professeure de géophysique à l'Université de Trieste : "la Terre réagit de manière élastique à ces variations de gravité et à ces déformations," souligne-t-elle.
Autre domaine de la recherche où l'on attend beaucoup de cette vue d'ensemble de la gravité terrestre que GOCE fournit chaque mois : l'étude des océans. L'analyse de l'influence du champ gravitationnel terrestre est essentielle pour élaborer des modèles et à terme, étudier l'évolution de notre climat.
Ainsi, au Centre de recherche allemand pour les géosciences de Potsdam, le chercheur Ingo Sasgen s'est servi des informations fournies par le satellite pour observer la fonte de la calotte glaciaire au Groenland sur les dix dernières années. "La gravité est un révélateur très précis et très exact des variations de masse," assure-t-il, "et quand on voit ces résultats, il ne fait aucun doute que la couche de glace du Groenland perd de la masse et on peut quantifier le phénomène avec précision." De quoi donner un peu plus de crédit à tous ceux qui alertent sur la disparition de la calotte glaciaire.
GOCE. Pendant quatre ans, avant de se désintégrer dans l’atmosphère en 2013, le satellite GOCE (mission d’étude de la gravité et de la circulation océanique en régime stable) a mesuré la gravité terrestre avec une précision inégalée.
En résulte le géoïde ci-dessous : il montre que le champ de gravité terrestre n’est pas uniforme. En effet il varie subtilement par endroit en raison de la rotation de la planète et de la répartition inégale des masses (montagnes, fosses océaniques), principalement.
Le géoïde obtenu grâce à GOCE. ESA/HPF/DLR.
GLACES. La nouveauté, c'est qu'une nouvelle analyse des données enregistrées par GOCE indique que la fonte des glaces affecte aussi, localement, la gravité.
C’est une équipe internationale qui a fait cette constatation en se basant sur les mesures réalisées par GOCE au-dessus de l’Antarctique entre novembre 2009 et juillet 2012.
IMPERCEPTIBLE. Les scientifiques ont noté, au cours de cette période, que la fonte de la glace contenue dans de nombreux bassins versants s’est reflétée dans les relevés satellitaires. La perte de masse des calottes glaciaires a entraîné une diminution locale de la gravité, trop imperceptible pour être ressentie par un être humain mais suffisante pour être relevée par GOCE (qui n’a pourtant pas été conçu pour enregistrer les variations de gravité au cours du temps).
Ces données confirment celles d’un autre satellite (nommé GRACE) qui avait, le premier, observé un lien entre la masse des glaces et la gravité aux pôles. Mais les chiffres beaucoup plus précis envoyés par GOCE permettent d’afficher ces variations pour chaque bassin versant analysé. "Nous travaillons maintenant avec une équipe interdisciplinaire pour étendre l'analyse des données de GOCE à l'ensemble de l’Antarctique" signale Johannes Bouman de l'Institut allemand de recherche géodésique.
L’analyse permettra de créer une carte des variations de la gravité en Antarctique sur deux ans et des les relier à la fonte des glaciers. Cela permettra de compléter les mesures des satellites altimétriques comme CryoSat 1 et 2, lesquels cartographient les variations d’épaisseur de la glace aux pôles.
PERTE. La fonte de l’inlandsis et des glaciers en Arctique et en Antarctique est une préoccupation majeure de la communauté scientifique. Les mesures sont alarmantes et relèvent une accélération de la fonte des glaces associée au réchauffement climatique.
Ainsi entre 2011 et 2014, ce sont 125 km3 par an de glace qui se sont volatilisés en Antarctique. Et le processus continue de s’emballer à tel point qu’aujourd’hui certains scientifiques estiment qu’il est irréversible. Avec pour conséquence, une montée du niveau des eaux qui pourrait atteindre 80 cm d’ici 2100 selon les dernières estimations du GIEC, le groupement d’experts chargé d’évaluer le changement climatique en cours.